Présentation

Même si l'Antiquité romaine fut une période rude et souvent implacable pour beaucoup d'êtres humains, nous ne pouvons nier que dans de nombreux domaines la civilisation romaine fut innovante et même fascinante. Si Rome a conquis nos terres à la force du glaive pour imposer ensuite son pouvoir sous la férule des légions et de son administration centralisée, elle nous a aussi légué sa culture et, pour ce qui nous intéresse dans ce blog, son savoir-faire en matière d'urbanisme, d'architecture et de construction. C'est précisément ce domaine des habitations romaines typiques des campagnes, les villae, que je vous invite à découvrir ensemble.

jeudi 5 décembre 2019

La villa gallo-romaine du Palat à Saint-Emilion

SEPTEMBRE/OCTOBRE 2019

Certains aiment la dire d’Ausone. C’est le cas depuis le XVIe siècle où le château qui surplombait le site prit le nom du poète. Serait-ce donc le fameux Lucaniacum près de Condate ? D’autres le nient vigoureusement. La vérité est certainement dans un doute raisonnable.

Pour autant, dans la vallée du ruisseau de Fongaban, au pied de la falaise de Saint-Émilion, se trouvait aux IVe et Ve siècles de notre ère, la riche demeure d’un notable. La tradition ne s’y trompe pas : depuis le XIIIe siècle, on évoque le Palat. Ce nom, original pour un moulin, est celui du lieu-dit et le palais qu’il désigne est cette villa.


Fig. 1 La villa du Palat, restitution par Jean-Claude Golvin


Bien que Jouannet évoque dès 1820 différents éléments gallo-romains à Saint-Émilion, le site archéologique du Palat n’est guère connu que depuis 1936 et la synthèse proposée par Ch. Ouy-Vernazobres. Mais en 1969, à la faveur de travaux, le comte Léo de Malet le redécouvrit. Marc Gauthier (DAHA[1]) y mena des fouilles jusqu’en 1971, puis Catherine Balmelle (CNRS) de 1981 à 1988 ; en 1991, une prospection au géoradar compléta les données. Depuis 2013, Catherine Petit-Aupert (Université Bordeaux-Montaigne) a mené de patientes prospections au sol, comme dans une bonne partie de Saint-Émilion et des communes alentour, replaçant les vestiges dans leur environnement archéologique. Sous sa direction, Sylvie Soulas a repris l’étude du mobilier recueilli lors des fouilles. En 2014, Xavier Charpentier (SRA) a mené des sondages pour vérifier la bonne conservation des vestiges. En 2017, avant la plantation d’une vigne à l’est, un diagnostic préventif a été réalisé, sur demande volontaire de la SCI La Gaffelière et prescription du SRA, par Christine Etrich (INRAP). Enfin en 2018, un peu à l’ouest, les découvertes faites lors de la réalisation d’un drain ont entraîné des relevés et des prospections géophysiques. Approches multiples et multiples acteurs qui n’épuisent nullement le potentiel de ce site remarquable, mais contribuent tous à sa connaissance.

Ce n’est pas un hasard si les actions se sont multipliées ces dernières années. L’« Association pour la sauvegarde de la villa gallo-romaine du Palat à Saint-Émilion » avait été créée dès 1987, ayant pour objectifs la sauvegarde et la mise en valeur du site. Elle a repris vie en 2013, à l’initiative de Bérangère de Malet-Petges, avec les mêmes buts, sous le nom de « Cépages et tesselles, la villa gallo-romaine du Palat à Saint-Émilion », et s’est dotée d’un comité scientifique.


Fig. 2 Plan de la villa (C. Balmelle, Les demeures aristocratiques d'Aquitaine, Ausonius/Aquitania, 2001, p. 452)


Le site est niché au creux d’un vallon, au débouché du ruisseau de Fongaban sur la plaine alluviale de la Dordogne, dans une topologie peu fréquente. À la base de la séquence archéologique, des traces ténues du second âge du fer ont été observées dans les vases déposées au fond du lit originel du ruisseau. Ce terrain humide a été assaini par un remblai de blocs calcaires irréguliers avant une première installation antique encore mal cernée. Si le site est occupé jusqu’au VIIIe ou IXe siècle et n’est réinvesti qu’au XIIIe siècle, l’essentiel des vestiges connus appartiennent à la partie résidentielle d’une villa de l’antiquité́ tardive et correspondent à sa façade d’apparat (fig. 1).


Fig. 3 Le bassin aux poissons


Un jardin d’agrément et un grand bassin ornemental, de soixante mètres de long sur sept de large, précèdent une galerie péristyle qui s’étend sur quatre-vingt-dix mètres (fig. 2). En son centre, elle donne accès à une vaste salle de réception, qui possède un bassin alimenté par des canalisations en plomb. Y dansent, sous un jet d’eau, les poissons bleus de la mosaïque (fig. 3). De part et d’autre de cette salle se trouvent différentes installations domestiques et en particulier, au sud, une pièce à deux alcôves symétriques, où l’on verrait bien la chambre du maître de maison. Sur le sol mosaïqué, s’épanouissent des rinceaux de vigne qui jaillissent d’un cratère (fig. 4). On imagine volontiers une évocation de l’origine de la fortune du propriétaire ; mais l’actualité de ces connotations ne peut qu’appeler à la prudence.

Ce plan est original en Aquitaine. D’une part, il s’échelonne sur plusieurs niveaux en bas de la pente du coteau. D’autre part, il s’organise de façon axiale et symétrique, avec une galerie de façade et des ailes en retour, apparemment assez courtes. Ce n’est que dans les vallées du Rhin et de la Moselle qu’on en trouve quelques bons parallèles.


Fig. 4 Mosaïque de la chambre aux deux alcôves, avec des pampres de vigne stylisés


Des fragments de marbres, de peintures, de stucs recueillis en fouille, un chapiteau heureusement épargné (fig. 5) révèlent que la villa eut une riche décoration intérieure. Mais les exceptionnelles abondance et qualité des décors mosaïqués en sont le meilleur témoin : pas moins de 210 m² en sont conservés. Ils sont homogènes, solidaires des maçonneries, en bonne correspondance avec un mobilier qui reste cependant assez rare. L’ensemble est, en conséquence, estimé de la fin du IVe ou du Ve siècle.

Lors de la première campagne de fouilles, deux mosaïques ont été déposées et restaurées. L’une d’elles se trouve dans le salon de dégustation du château La Gaffelière. L’autre est trop grande et n’a trouvé logement que dans un garage – pour le moment…

Auprès d’un autre moulin de la même vallée du Fongaban et de l’église mal connue de Saint-Georges – où l’on aurait observé des sarcophages du haut Moyen Âge –, 100 à 150 mètres à l’est du Palat, des découvertes faites à la fin du XIXe siècle, synthétisées dans les années 1930, sont par hypothèse mises en relation avec cette résidence. On aimerait y voir les installations rurales du domaine ; s’y trouveraient, en particulier, deux bassins à cupule, carrelés de terre cuite, d’un type que l’on relie ordinairement aux installations vinicoles. Mais, à défaut d’une enquête récente sur les lieux, on manque de certitude sur les observations elles-mêmes et, pire encore, on ne dispose d’aucun élément de chronologie. Des structures du même genre ont été observées en plusieurs endroits, par exemple, non loin au bourg de Sainte-Colombe.


Fig. 5 Chapiteau retrouvé en fouille


Dans le contexte saint-émilionnais, de tels vestiges techniques sont particulièrement parlants. Mais sont plus évocateurs encore, par leur esthétique et par l’opulence de leur environnement, les pampres enroulés de la mosaïque. C’est la vie dans l’Antiquité, et singulièrement dans cette belle villa dont la richesse pourrait être d’origine viticole, que voudrait mettre en évidence « Cépages et tesselles ».

Le site vient d’être inscrit sur la liste complémentaire des Monuments historiques. L’élaboration d’un projet de valorisation avance pas à pas. Le site internet www.villadupalat.com en fournit un reflet fidèle. Il fait aussi le récit de la découverte, donne de nombreuses images des fouilles, présente l’association et propose d’y adhérer.

Cépages et tesselles organise le samedi 14 septembre 2019 un événement exceptionnel à la salle des Dominicains de Saint-Émilion : à 14 h 30, l’association ouvrira son assemblée générale annuelle à tous ceux qui seraient intéressés par son projet ; à 16 h 30 les membres du comité scientifique feront une conférence à plusieurs voix ; suivra vers 17 h 30 la projection d’un film consacré à la villa et à sa valorisation ; enfin vers 18 h sera présentée la cuvée Le Palat, dégustation-vente dont les bénéfices alimenteront les ressources de l’association.

Venez découvrir ce passé de Saint-Émilion, plus ancien mais moins connu que d’autres.

Pierre Régaldo-Saint Blancard
Président de la Société archéologique de Bordeaux

[1]. DAHA : Direction des Antiquités historiques d’Aquitaine, devient le SRA : Servie régional de l’Archéologie ; CNRS : Centre national de la recherche scientifique ; INRAP : Institut national de recherches archéologiques préventives.


mardi 5 novembre 2019

Les splendides mosaïques de la villa Noheda

Quelle ne fut pas la surprise de José Luis Lledo, lorsque sa pioche heurta la surface d'une magnifique mosaïque, lors de travaux de terrassement sur ses terres agricoles en 1984.
Vingt ans plus tard et après quelques démêlés avec l'Administration, une première campagne de fouilles révéla une villa romaine somptueuse qui devait appartenir à un riche négociant en vin ayant vécu au IVe siècle, et dont on ne connait pas encore le nom. Les mosaïques et les fresques mises au jour aux cours des fouilles ultérieures comptent d'ores et déjà parmi les plus vastes et les mieux conservées de l'Antiquité tardive.

La villa romaine, située à quelque dix-huit kilomètres de la ville de Cuenca en Castille-La Manche et à deux cents kilomètres à l'est de Madrid, s'étend sur une superficie estimée à près de dix hectares. Seule une petite partie du site a été fouillée à ce jour, mais les découvertes exceptionnelles qui y ont déjà été réalisées laissent supposer qu'il s'agissait d'une résidence très riche. De nombreuses sculptures taillées dans plus de trente marbres différents ont été retrouvées dans les ruines.
Pour le professeur Miguel Angel Valero, l'archéologue responsable des fouilles, les campagnes à venir réservent d'autres surprises agréables.

La villa a été bâtie sur un terrain légèrement en pente, délimité au sud par le ruisseau Chillaron, et abrité au nord par la colline de la Cuesta de las Herrerias. La villa porte le nom du district de Noheda tout proche, mais elle se trouve sur le territoire de la municipalité de Villar de Domingo Garcia.
Le matériel récolté permet de dater l'occupation du site du Ier siècle au VIe siècle de notre ère, mais les vestiges les plus importants sont incontestablement les mosaïques figuratives datées du IVe siècle.

Une mosaïque de 230 m2 couvre une pièce rectangulaire d'une superficie de quelque 300 m2 qui semble avoir été un triclinium. Cette salle est entourée de trois exèdres. Le bas des murs comporte un décor en « opus sectile », et le haut est décoré de peintures murales. Les mosaïques représentent des scènes de la mythologie greco-romaine, comme le « jugement de Pâris », le « mythe de Pélops », ou « l'enlèvement d'Hélène ». On peut aussi distinguer un cortège dionysiaque accompagné de Satyres et Ménades, le tout entouré de motifs géométriques et végétaux. Une représentation d'Athéna de deux mètres de haut y figure également.

Alors que les fouilles se poursuivent toujours sous l'égide de l'Institut du Patrimoine Historique d'Espagne, le site a été acquis par le Gouvernement régional de Castille-La Manche et est désormais ouvert au grand public depuis l'été 2019.



Représentation de la mosaïque



Plan du triclinium



Vidéo de présentation




Lien vers une autre vidéo Youtube :




Novembre 2019
Ph. Laval

mercredi 18 septembre 2019

La villa gallo-romaine de Lana


La villa romaine de Lana

Bois de Lana (54 – Vallois, Meurthe-et-Moselle, Grand-Est)

Situé sur le territoire de la commune de Vallois, sur la rive gauche de la Mortagne, entre Gerbéviller et Moyen, la villa gallo-romaine de Lana est, par son état de conservation, un site archéologique majeur au Sud de Lunéville. La première mention de découvertes archéologiques à cet endroit remonte à 1897, avec les recherches entreprises par Jules Beaupré, qui fait mention de moellons, de tuiles et de fragments de céramiques sur une zone assez étendue.

A partir de 1968, la Société d’Archéologie et d’Histoire Locale de Gerbéviller engage un vaste programme de fouilles sur le site. Pendant près de dix ans, toute l’année, sous la direction d’André Sarrassat et Pierre Simonin, les fouilleurs bénévoles mettent progressivement au jour les vestiges d'un ensemble gallo-romain, composé d'une villa et de son complexe thermal exceptionnel avec un frigidarium (P3), un tepidarium (P5) et un caldarium (P6), ainsi que des pièces de réception (P8 et P9), des couloirs et des locaux de service (CL1, CL2, CL3, P1, P7 et P10). Le système de chauffage par le sol (hypocauste) a été mis au jour dans les pièces P5, P6 et P9 (Fig 1).

La zone fouillée représente environ 600 m², soit une petite partie de l'ensemble initial probable (environ 1500 à 2000 m²), qui comprend le quartier balnéaire, une cave (P20) et des pièces de service et d'habitation. L'essentiel de la villa (habitat, communs, écuries, ateliers, ...) est toujours sous terre.

La villa se situe à un endroit stratégique, à proximité de nœuds de communication et de voies romaines, en surplomb de la Mortagne, sur une pente forte orientée plein Nord. Sa construction en terrasses est assez originale dans la région.
Le lieu était connu sous le nom de "village gaulois", et il aurait été occupé au moins pendant trois siècles, de la fin du Ier siècle jusqu'au IVe siècle de notre ère, avec une période très riche et prospère au IIe siècle.

Les bois voisins montrent des restes de terrasses de culture et de chemins antiques. Les champs situés dans l'axe Nord-Sud laissent entrevoir des traces de bâtiments agricoles, et donc une partie agricole (pars rustica) qui s'étend sur 5 à 10 hectares.

La villa, ayant été recouverte par la végétation et la forêt dès son abandon durant le IVe siècle, s'est écroulée sur elle-même. Elle a ensuite été ensevelie sous deux mètres de terre par l'effet de l'érosion ; ce qui a permis de retrouver des murs pouvant mesurer jusqu'à 1,70 m de haut. Le site aurait été pillé vers la fin de l’antiquité et au Moyen-Age. Beaucoup de matériaux de construction, dont des moellons, les pilettes, des carrelages de calcaire sciés et des marbres, ont disparu.

Un important mobilier archéologique a été mis au jour, dont de nombreux enduits peints décorés de frises, de personnages et de motifs floraux, ainsi que des objets de la vie quotidienne tels que des fragments de céramiques, des bijoux et des outils, témoignant de la richesse des propriétaires ayant vécu sur ce site.

Le site de la villa romaine de Lana est remarquable non seulement par l'ampleur des structures dégagées, mais aussi parce que cette villa est un des rares sites visitables de l'Est de la France et le seul en Meurthe-et Moselle.

(Texte de M. Maximilien Morel, secrétaire de la Société d'Archéologie et d'Histoire Locale de Gerbéviller ; https://archeogerbeviller.omeka.net/ )


Photos :

Fig 1 : Plan de la villa en 1980 (Soc. Archeo. Gerbéviller)




Fig 2 : Fragments d'enduits peints de la villa romaine du Bois de Lana (Photo : Marc Heilig).




Fig 3: Couteau pliant composite avec manche zoomorphe en ivoire. IIe-IIIe siècle ap. J.-C. (Photo : M. Morel ; DRAC-SRA Lorraine – Dépot Soc. Archeo. Gerbéviller, 2018)




Fig 4 : Photo de la villa en cours de fouille (date inconnue) (Soc. Archeo. Gerbéviller)




Fig 5 : Vue Sud-Est de la villa (Photo : M. Morel, Soc. Archeo. Gerbéviller, 2016)




Fig 6 : Vue de P6 (Photo : M. Morel, Soc. Archeo. Gerbéviller, 2017)



Une visite guidée de la villa romaine sera prévue, lors des Journées du Patrimoine le week-end du 21 et 22 septembre prochain (départs au château de Moyen).

jeudi 1 août 2019

Présentation d'un illustrateur en archéologie

Une fois n'est pas coutume, je voudrais vous présenter, cette fois, non pas un bâtiment, mais un illustrateur-aquarelliste talentueux qui s'est spécialisé dans le dessin archéologique.
Les dessinateurs qui ont choisi cette voie sont assez peu nombreux, et ils méritent certainement d'être mieux connus et référencés.

Voici donc Antony Reiff du site IDAAR (« Illustrations et Dessins Archéologiques Antony Reiff »).

Sa formation :
Après avoir obtenu son Bac général ES (2007), Antony a réalisé des études d'archéologie à l'Université de Strasbourg (2007-2013) jusqu'à obtenir un master d'archéologie spécialisé dans l'étude de la céramique romaine tardive. Travaillant comme archéologue dans divers services de Moselle, il a décidé de lier l'archéologie et le monde de l'illustration et du dessin pour créer l'IDAAR (2016).

Ses experiences :
  • fouilles bénévoles (2003 à 2012)
  • fouilles préventives (2013 à 2015)
  • projets scientifiques programmés (2014 à 2016)

Ses projets d'illustrations :
  • exposition "De Pompéï à Bliesbruck, Vivre en Europe romaine", 2008.
  • exposition "Quand la Moselle était gallo-romaine", 2016.
  • Parcours archéologique du site de Grand (88), 2016.
  • Relevé des 40 blocs du Chancel de Saint-Pierre-Aux-Nonnains, Musée de la Cour d'Or (57), 2017/2018.
  • Parcours archéologique de Bulgnéville (88), 2019.
  • Et plein d'autres petits projets .... (Nouméa, Bliesbruck, Dehlingen....)

Quelques illustrations :


Vue de l'amphithéâtre de Nîmes, aquarelle et encre




Dessin d'une poterie réalisé au point



Croquis de la façade du corps central de la villa de Rouhling (57)









Illustration du temple d'Auguste et Livie à Vienne


Contact :
Antony REIFF -IDAAR-
37 Rue Rohan 67230 BENFELD
tel : 06. 21. 52. 04. 73.
courriel : idaar@orange.fr
Lien vers son site : http://idaar.over-blog.com/

Août 2019

jeudi 4 juillet 2019

Une chambre funéraire romaine


A proximité des villas se trouvaient des lieux de sépultures réservés aux défunts de ces domaines ruraux et des monuments funéraires élevés à leur mémoire.
Ces sites étaient le plus souvent implantés sur un endroit surplombant le domaine ou en bord de route. Selon l'époque, la région et les coutumes locales, ces lieux de sépultures pouvaient être très variés. Ainsi à côté des tombes, dont une stèle funéraire (bas-relief) en indiquait l'emplacement, certaines populations inhumaient leurs morts, ou ensevellisaient leurs restes après incinération, sous des tumuli (sg. tumulus), tandis que d'autres déposaient le corps du défunt (ou l'urne funéraire) dans une chambre funéraire surmontée d'un petit monument ressemblant à un temple.
Je vous propose la découverte de ce dernier type de sépulture reconstitué sur les hauteurs de la vallée mosellane au Grand-Duché du Luxembourg.

Texte du panneau explicatif à l'entrée du monument

Sur un promontoire dominant la vallée de la Moselle près de Bech se trouve en plein milieu des vignobles et dans l'axe médian de la célèbre Villa de Nennig une construction d'origine romaine, découverte en 1950 et dégagée partiellement en 1959. L'importance particulière de l'édifice n'a été reconnue que lors des fouilles effectuées en 1987 et 1988 à l'occasion des travaux de remembrement.

La construction située au lieu-dit « Frieteschwengert » est un monument funéraire de l'époque romaine tardive, semblable à ceux qu'on trouve en situation analogue à Mesenich (« Petersberg ») dans la vallée de la Sûre ainsi qu'à Igel (« Grutenhäuschen ») et à Nehren (« Heidenkeller ») dans la vallée de la Moselle. Les mausolées de ce type, construits dans la pente des coteaux, comprenaient deux étages. La chambre funéraire qui constituait la partie principale de l'édifice était en grande partie enfouie sous terre. Cette pièce voûtée de forme rectangulaire était décorée de fresques multicolores. Elle était surmontée d'une construction de mêmes dimensions en forme de petit temple funéraire. A Bech, un couloir souterrain voûté comportant plusieurs marches menait à la chambre funéraire.

L'imposant édifice de Bech, construit comme lieu de sépulture d'une riche famille de viticulteurs et de négociants en vin, a sans doute été détruit lors des invasions germaniques du Ve siècle après Jésus-Christ. Pour cette raison, très peu d'éléments de son décor et de son mobilier original sont conservés. Plusieurs tuiles portant la marque de production IOVIANI indiquent que le bâtiment a été construit dans la première moitié du IVe siècle après Jésus-Christ. Des fragments de poteries et de verres, différents petits objets ainsi que les monnaies en bronze datant de la même époque confirment cette hypothèse.
Après la destruction partielle du bâtiment au Ve siècle, les ruines ont été réutilisées par la population franque dans la deuxième moitié du VIIe et la première moitié du VIIIe siècle. Même si de nombreux objets témoignent de cette réoccupation de l'édifice, l'usage précis que les Francs en faisaient n'est pas connu.

Outre les fragments de plus d'une centaine de poteries datant de l'époque mérovingienne tardive, les recherches effectuées en 1987 et 1988 ont fourni deux pièces de monnaies en argent d'une extrême rareté datant de la période de 680 à 720, parmi lesquelles un « sceat », une pièce d'origine anglo-saxonne ou frisonne de la première moitié du VIIIe siècle. Les fouilles ont également produit des monnaies romaines en bronze réutilisées à l'époque franque ainsi que de nombreux petits objets, notamment des éléments de parure en bronze et en verre. Toutes ces trouvailles constituent de précieux témoignages de la vie quotidienne de la population franque qui fut à l'origine du village de Bech, mentioné pour la première fois sous la forme de « Becghe » dans un document de 893 (« Prümer Urbar »). La découverte d'un pendentif en bronze en forme de croix pattée montre en plus que le christianisme était déjà répandu dans les régions rurales de la vallée de la Moselle à la fin du VIIe et au début du VIIIe siècle.

La chambre funéraire de Bech-Kleinmacher, recontruite d'après le modèle des deux édifices similaires de Nehren près de Cochem, constitue donc à la fois un témoignage impresionnant des orignines romaines de la viticulture mosellane et un rare témoin des débuts du christianisme dans nos régions.
Jean Krier

Différentes vues du monument

















Juillet 2019

jeudi 6 juin 2019

La villa de l'Archéosite d'Aubechies

Outre les nombreuses reconstitutions d'habitats et structures antiques, l'Archéosite d'Aubechies propose également à ses visiteurs la découverte d'une villa gallo-romaine reconstruite à partir du plan de fouille des vestiges d'une authentique villa mise au jour en Allemagne.

Vue d'ensemble de la villa reconstituée, photo: J-M Rogge




Voici un extrait de la brochure : « La villa à l'époque romaine » rédigée et publiée par l'Archéosite :

'' Le choix d'un modèle spécifique, la villa de Mayen (Rheinland-Pfalz) située en Allemagne, s'est imposé pour des raison pratiques. Cette construction de taille modeste et bien documentée a connu 8 phases de transformations successives aboutissant à un plan homogène relativement réduit muni d'une galerie de façade caractéristique. Ce modèle est relativement récurrent dans le Nord de la Gaule, en Bretagne insulaire et en Germanie.

La reconstitution, présentée ici, illustre la phase finale de la villa de Mayen. La vaste pièce rectangulaire située à l'arrière de la galerie de façade est intégrée entre deux pavillons d'angle qui lui confèrent une certaine monumentalité et une rigueur symétrique. Le grenier, visible sur le plan original, n'a pas été reconstitué, le terrain étant trop plane.

Plan et esquisse de la villa de Mayen en Allemagne, (Mylius, 1928)





Fondation, maçonnerie et parement

Étant donné la nature du substrat géologique régional composé d'une épaisse couche de loess, les fondations antiques se limitent habituellement à une profondeur moyenne de +/- 60 cm équivalant au niveau inférieur protégé du gel. Le plus souvent, les fondations se composaient de blocs de pierre pouvant être disposées en hérisson, liés à l'argile et parfois au mortier de chaux.

La pierre utilisée pour la reconstitution du parement de cette villa est un grès régional appelé « grès de Grandglise » (grès « bigarré » du Landénien inférieur). Cette pierre était majoritairement utilisée pour toutes les constructions de la région de Beloeil et de Basècles durant la période romaine.

Durant l'époque antique, les murs étaient constitués d'un remplissage de pierrailles mélangées au mortier : l'opus caementicium. Le mortier se compose d'un volume de chaux, de deux volumes de sable de rivière et d'un volume de tuileaux pulvérisés qui lui confèrent cette couleur rose. Cette technique se base sur l'une des recettes du traité d'architecture de Vitruve datant du 1er siècle de notre ère (Vitruve, II, 5,7). Cet opus caementicium est toujours accompagné d'une parement externe pouvant être agencé de diverses manières. Dans nos régions, on retrouve principalement des parements en opus incertum constitués de blocs de taille informe pouvant être dressés sur leur face externe et en opus vittatum composés de pierres
quadrangulaires uniformes disposées horizontalement. Les enduits extérieurs ou crépis à base de chaux étaient également souvent employés. Ces derniers pouvaient être agrémentés de traits colorés, tirés au fer à joint, imitant des blocs de pierre de taille régulière. La villa présentée ici est recouverte par endroit d'un enduit lisse de couleur ocre.

La façade principale et les soubassements sont composés de blocs de grès disposés en opus vittatum agrémentés d'assises de tuiles. Ces dernières, tout en contribuant à la régularité de la construction, apportent une dimension esthétique caractéristique de la construction romaine.

Vue de la façade de la villa reconstituée à Aubechies




Portique

L'espace couvert situé devant la façade est constitué d'un portique monumental décoratif. Le portique, ensemble architectural typiquement méditerranéen, est un élément fondamental dans l'architecture romaine. Le caractère indigène subsiste dans l'utilisation de supports en bois pour la construction du portique.

La charpente en chêne bien visible sous le portique est constituée de poutres maîtresses en bois soutenant des chevrons et des voliges sur lesquels les tuiles viennent prendre appui. Dans nos régions, la tuile est un matériau de couverture couramment utilisé dès la première moitié du Ier siècle. La tegula est une tuile plate trapézoïdale avec rebords latéraux. Sur ces rebords venaient s'appuyer à chaque extrémité l'imbrex ou couvre-joint, tuile semi-circulaire qui permettait d'assurer l'étanchéité de la couverture. Celle-ci se terminait par une antéfixe (antefixa) qui scellait l'ensemble.

L'utilisation de la gouttière n'est pas attestée à cette époque. La toiture débordante permettait d'isoler la façade de l'écoulement des eaux. Le système de drainage était assuré par des tegulae disposées à même le sol et servant de caniveaux. Ces tegulae, visibles à l'angle gauche de la façade, entraînaient l'eau en bas de pente.

Huisserie

Les accès principaux sont généralement larges. La porte en chêne, visible de la façade avant et composée de quatre battants munis de fenêtres à croisillons, a été réalisée d'après un modèle retrouvé à Pompéi. Les fenêtres en bois pourvues de croisillons sont constitués de verre soufflé. Le verre à vitre apparaît dans nos régions à l'époque romaine. Il se caractérise par la présence de bulles et par une couleur qui varie en fonction de l'oxydation des minéraux de matières siliceuse. Les fenêtre sont également recouvertes de protections étoilées en fer décoratif. Ces dernières sont rivetées à l'ancienne et scellées au plomb.

Chauffage et foyer

A l'époque romaine, le foyer à cheminée n'existait pas encore. Le système de chauffage était assuré par des foyers ouverts adossés au mur et reposant directement sur le sol ou par des brasero disposés dans les différentes pièces. Un très bel exemple de brasero en bronze est présenté dans la salle d'apparat. Ce dernier a été réalisé d'après un modèle découvert à Pompéi. Il est composé de trois pieds en forme de faune ithyphallique.

A côté de ces chauffages d'appoint, un système novateur fut mis au point : le chauffage sur hypocauste. Un praefurnium (foyer) était aménagé sous la pièce à chauffer afin de permettre à la chaleur de se répandre en sous-sol (d'où le nom latin d'hypocausis : chauffage inférieur). Cet espace était couvert par un sol suspendu : la suspensura constituée de dalles de terre maintenues pas le biais de pilettes composées de briques quadrangulaires de 20 cm de côté. Elle était recouverte d'un mortier romain. La chaleur chauffait le sol et était évacuée par les conduits verticaux fixés dans les murs. Ces conduits ou « tubuli » participaient également au réchauffement de la pièce. Des cheminées situées en sommet de mur permettaient l'évacuation des fumées vers l'extérieur. L'invention de ce premier chauffage central remonterait au IIIe siècle avant J.-C. Des conduits de chauffage ont été découverts à Gortys, Olympie et Syracuse (Adam, p. 289). Il faudra attendre le courant du Ier siècle de notre ère pour voir apparaître cet équipement dans nos régions. Une petite pièce rectangulaire a été reconstituée à l'extérieur de la villa (sur le côté latéral gauche) et permet d'accéder au praefurnium. Ce système est ici reconstitué pour le chauffage de la baignoire : les thermes.

La salle de séjour ou de réception

Vue partielle de l'atrium, photo : J-M Rogge




Cette salle était réservée, à l'origine, aux activités collectives de la famille et aux repas. Peu à peu, dans les grandes villae, l'évolution pratique voulut que les repas soient pris dans une salle réservée exclusivement à cet usage : le triclinium. A l'origine, ce nom désignait le lit à triple couchette sur lequel s'installaient les convives. Dans le cas de constructions modestes, la double fonctionnalité séjour-salle à manger a très bien pu persister faute d'espace suffisant.

Diverses pièces secondaires sont également accessibles à partir de cet endroit central. Malheureusement, l'archéologie nous donne peu de renseignements quant à la destination exacte de ces dernières.

Les quatre colonnes visibles au centre de la pièce constituent un dispositif permettant de soulager la portée du toit. De nombreuses petites villae en Gaule révèlent les traces de piliers ou poteaux de soutènement à cet endroit (Verslype, 1994, p. 33).

L'atrium avec les colonnes




Le sol recouvert du mortier romain caractéristique (sable, tuileaux pilés, chaux) est agrémenté de trois mosaïques en marbre illustrant deux scènes champêtres et une nature morte. La scène champêtre disposée à l'entrée présente une mosaïque bichrome avec un chevrier occupé à traire une chèvre sous une treille. L'ensemble est entouré d'une frise agrémentée d'oiseaux disposés en vis-à-vis. Cette scène s'inspire du motif d'un tissu datant des IVe-Ve siècles après J.-C.

Une mosaïque polychrome disposée devant l'escalier présente divers aliments consommés à l'époque : poissons, volailles, bottes d'asperges, régimes de dattes. Cette nature morte est la copie d'une mosaïque découverte à Tor Marancia (près de Rome) et datant de l'époque d'Hadrien.

Devant les thermes, une mosaïque polychrome réalisée d'après un original découvert aux environs de Rome (IIIe siècle ap. J.-C.) présente des escargots et des poules de Numidie (pintades), produits exportés par l'Afrique du Nord durant l'Antiquité.

D'après Vitruve, les illustrations d'animaux, légumes et fruits figurant dans la peinture italique font directement référence aux cadeaux offerts par le maître des lieux à ses invités. Ce thème, repris également dans les mosaïques, illustre aux IIe et IIIe siècles, les prémices des récoltes et des troupeaux apportés par les coloni c'est-à-dire les paysans travaillant pour le patronus (Gros, 2001, p. 149).

La peinture romaine s'exprime principalement par l'utilisation de deux types de techniques. La fresque ou peinture « a fresco » qui correspond à une méthode de peinture sur un enduit de chaux et de sable encore frais. Les pigments appliqués avec de l'eau ou du lait de chaux pénètrent et se fixent alors dans l'enduit plus facilement. La technique de la « tempera » correspond à l'application de peinture délayée préalablement avec un liant sur un support sec. Souvent, seule une analyse physico-chimique permet d'identifier avec certitude le type de technique utilisé (Barbet, 1999, p. 39-52).
La plupart des pigments utilisés sont d'origine minérale (Barbet, 1999, p. 45-49). (...)

Étage et plafonds

La pièce d'apparat centrale est ici présentée sans étage. Cette hypothèse s'appuie sur les données archéologiques, les recherches pratiquées sur certaines villae (Metzler et al., 1981, p. 139-140). Les pièces secondaires situées dans les ailes possèdent par contre un étage reconstitué, utilisé comme pièce de stockage.(...) ''

La villa comporte également un tepidarium et une chambre avec un laraire. Un jardin et un potager complètent le domaine reconstitué.

(Résumé fait avec l'autorisation de l'Archéosite)

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Juin 2019