Présentation

Même si l'Antiquité romaine fut une période rude et souvent implacable pour beaucoup d'êtres humains, nous ne pouvons nier que dans de nombreux domaines la civilisation romaine fut innovante et même fascinante. Si Rome a conquis nos terres à la force du glaive pour imposer ensuite son pouvoir sous la férule des légions et de son administration centralisée, elle nous a aussi légué sa culture et, pour ce qui nous intéresse dans ce blog, son savoir-faire en matière d'urbanisme, d'architecture et de construction. C'est précisément ce domaine des habitations romaines typiques des campagnes, les villae, que je vous invite à découvrir ensemble.

mercredi 2 juillet 2025

Chaussées romaines d'ici et d'ailleurs

Introduction

Dans mon article du mois de mars 2024 dans Terre de Durbuy au sujet des villas gallo-romaines, j'avais précisé que certains indices archéologiques découverts sur le territoire de la commune de Durbuy laissaient supposer la présence de substructions enfuies dans le sol d'un ou plusieurs établissements datant de l'époque romaine (1).

Il est évident que toutes ces villas, véritables centres de productions agricoles et artisanales, étaient desservies par un réseau de voies de communication permettant d'écouler leurs marchandises vers les villes, les bourgades et les marchés.

Du reste, une des caractéristiques bien connue de l'Empire romain était son réseau routier très dense, bien organisé et largement sécurisé. Il faudra d'ailleurs attendre l'avènement de notre époque moderne pour retrouver un tel réseau routier d'envergure internationale.

Dans les provinces du nord de la Gaule, la mise en place de ce réseau routier fut pratiquement concomitant avec l'apparition des villas romaines. Dès que nos régions furent pacifiées après la Guerre des Gaules, l'intention du vainqueur fut d'abord de coloniser nos territoires par la mise en place d'un réseau routier performant permettant à la fois le déplacement rapide des troupes militaires ainsi que leur approvisionnement. C'est pourquoi la plupart des chaussées romaines sont très souvent rectilignes, malgré un dénivelé parfois important.

Voies romaines en Belgique, auteur : Rjdeadly, le 23/06/2017 (source Wikipedia)

Hiérarchie des chaussées romaines

Avant l'arrivée des Romains, la Gaule était déjà dotée d'un réseau de voies de communication assez étoffé, ce qui facilita d'ailleurs la conquête de César. Ainsi, la plupart de ces chemins furent intégrés au nouveau réseau mis en place au début du 1er siècle de notre ère par le gouverneur Agrippa, gendre de l'empereur Auguste, puis sous le règne de Claude au milieu du 1er siècle.

- Les Viae publicae (voies publiques) étaient les routes les plus importantes. Elles reliaient les villes et cités entre-elles, et étaient construites et entretenues par l'Etat. Ces chaussées portaient le nom de leur constructeur illustre et certaines sont connues aujourd'hui sous le nom de ''Chaussée Brunehaut''.

- Tout aussi importantes étaient les Viae militares (voies militaires), qui étaient des routes stratégiques destinées aux déplacements rapides des troupes. Elles étaient également du ressort de l'Etat.

- Viennent ensuite les voies vicinales reliant, comme leur nom l'indique, les Vici (bourgades routières) aux voies principales. Ces voies secondaires étaient le plus souvent construites et entretenues par les édiles des cités (autorités locales).

- Enfin, des chemins privés (Viae privatae) sillonnaient les campagnes en reliant les villas et les domaines privés aux artères principales. Elles étaient construites et entretenues par des propriétaires privés.

Ajoutons que des bornes milliaires jalonnaient les chaussées importantes tous les milles romains (1 478,50 m) pour informer le voyageur de la distance à parcourir (2). Des relais installés à intervalles réguliers lui permettaient aussi de trouver le gîte et le couvert ainsi qu'un service d'entretien pour sa monture.

D'autre part, les grands voyageurs de l'époque pouvaient acquérir une copie d'une carte itinéraire mentionnant les différents points de relais, les fleuves, les villes et les distances entre chaque étape.

La ''Table de Peutinger'' tracée au IIe ou IIIe siècle de notre ère, et recopiée en 1265, était faite d'une bande de parchemin longue de 7 m sur 0,34 m de haut.

Un second document appelé ''Itinéraire d'Antonin'' fut réalisé en 211-217 ou en 284-305. Il fut remanié au fur et à mesure de la fondation des nouvelles villes (3).

Structure & construction

Le cliché des voies romaines entièrement pavées, comme on peut en voir à Pompéi, est quelque peu exagéré. Certes, certains tronçons, surtout à proximité des villes et des lieux de grandes affluences, étaient pavés de grandes dalles de pierre. Mais d'autres revêtements, non moins solides, étaient également utilisés.

''Pour l'immense majorité des quelque 34 000 km de voies antiques qui sillonnent la Gaule, les chaussées sont recouvertes de gravier, de terre battue ou d'un empierrement plus ou moins élaboré.'' (4)

Dans la mesure du possible, la chaussée était construite sur un terrain stable et de préférence sur une crète militaire pour éviter les fonds de vallée humides. Une fois les mesures d'arpentage effectuées, le terrain était déblayé jusqu'au sol vierge. L'assise de la route comportait plusieurs couches de matériaux (sable, argile et gravier) compactées, puis le revêtement était fait de graviers, de cailloux ou de dalles de pierres.

La chaussée, légèrement bombée en son centre pour favoriser l'écoulement des eaux, mesurait entre 4 et 6 mètres de large. Deux fossés latéraux complétaient l'ouvrage (voir photo ci-dessous).

Outre la présence de gués sur les hauts fonds de rivières, le franchissement des obstacles naturels nécessitait la construction de ponts dont certains remarquablement bien conservés sont toujours utilisés aujourd'hui !

D'autres tronçons comportaient des ornières taillées à même la roche ou dans le pavement afin d'éviter le glissement des chariots (5).

Les Romains sont passés par ici !

Alors que plusieurs voies romaines traversaient la Wallonie pour rejoindre des villes comme Bavay, Reims, Cologne, Trèves, Metz ou Tongres, deux tronçons attestés par l'archéologie ont été repérés sur le territoire de la commue de Durbuy. Un troisième pourrait être daté de la même époque.

Le plus important est sans nul doute une section de la voie Arlon-Tongres qui a laissé son empreinte bien visible dans un pré au lieu dit Chêne à Han.

Après avoir franchi l'Ourthe à Grand-Han, la chaussée gagnait le vicus de Vervoz pour franchir ensuite la Meuse à Ombret et rejoindre Tongres.

Etonnamment, ce chemin passant par Chêne à Han fut repris à l'Atlas des chemins vicinaux sous le numéro 19 (6), alors qu'il ne figurait pas sur la carte plus ancienne de Ferraris (7).


Vestige de la voie romaine Tongres-Arlon à Chêne à Han, Durbuy. Photo : © Ph. Laval

Un autre chemin, qui devait être une voie privée, traverse le plateau agricole de Wéris en passant à proximité des deux dolmens et des menhirs récemment mis au jour dans le champ Paquet.

Connu aujourd'hui sous le nom de ''rue du Menhir'', ce chemin agricole se nommait jadis Vieux chemin des Romains (8) et il figurait à l'Atlas des chemins vicinaux sous le n°33. Il est indiqué sur la copie de l'extrait de la carte de Ferraris par deux flèches.

Un troisième chemin très ancien est mentionné sur la carte de Ferraris sous le nom Chemin de la Vicomté du château de Durbuy à celui de Stavelot. Cette ancienne voie qui passait par Warre et Tohogne se dirigeait vers le château de Logne, puis la vicomté de Ferot, avant de rejoindre Stavelot. Or, les nombreuses découvertes antiques mises au jour le long de son tracé laisseraient supposer une origine gallo-romaine, voire plus ancienne de cette voie (9).


© Service Public de Wallonie - Cartes de Ferraris (1770-1778), (2010-01-01)

Notes

1) Ph. LAVAL, Villas romaines d'ici et d'ailleurs, in Terre de Durbuy, n°167, mars 2024, p. 7.

2) A côté du mille romain de 1 478,50 m, la lieue ''romanisée'' de 2 222 m était aussi utilisée.

3) MERTENS J., 1986. Les routes romaines de la Belgique. in : Miscellancea in honorem Josephi Remigii Mertens, Leuven, (Acta Archaeologica Lovaniensia, 25), IX.

4) Gérard COULON, Les voies romaines en Gaule, Promenades archéologiques, Editions Errance, avril 2009, p. 82.

5) Ph. LAVAL, Section à ornières sur la voie romaine ''Arlon-Tongres'', Vie Archéologique, 52, p. 27-28.

6) L'Atlas des Voiries Vicinales de 1841 est un plan de la voirie vicinale établi par ancienne commune selon la loi belge du 10 avril 1841. Cette dernière est maintenant abrogée par le décret relatif aux voiries communales du 6 février 2014. (Source : Géoportail de la Wallonie).

7) La carte dite "de cabinet" a été dressée de 1770 à 1778 à l'initiative du Comte de Ferraris. Elle couvre les Pays-Bas autrichiens ainsi que les principautés de Liège et de Stavelot, c'est à dire la majeure partie de la Belgique actuelle et le Grand-duché du Luxembourg. (Source : Géoportail de la Wallonie).

8) Michel TOUSSAINT (dir.), 2003. Le champ mégalithique de Wéris. Fouilles de 1979 à 2001. Volume 1 Contexte archéologique et géologique. Etudes et documents Archéologie, 9, p. 121.

9) Damien FANON, 180 ans de découvertes gallo-romaines à Warre/Tohogne, in Terre de Durbuy, n°171, mars 2025, p. 43.

Bibliographie choisie

En plus des ouvrages déjà cités,

Marie-Hélène CORBIAU, Les voies romaines par la Wallonie, la voie Metz-Tongres, in Collection Vestiges, SPW Editions, 2017

G. THIOLLIER-ALEXANDROWICZ, Itinéraires Romains en France, in Archéologia, Guide hors-série n°8 H, 1996.

Guy FAIRON, La chaussée romaine Metz-Arlon-Tongres, in Les cahiers du groupe de recherches aériennes du sud belge (a.s.b.l.), 6700 Arlon, 1993-1.

André BAIJOT, La Pax Romana, de Tongres à Arlon, in catalogue de l'exposition du Musée de Wéris du 2 avril au 6 novembre 1994.

Si le sujet vous intéresse, le roman Un poète au palais écrit par l'auteur de cet article sous son pseudonyme est disponible au Musée des Mégalithes de Wéris. Le livre, dont le récit se situe au cœur de l'Antiquité tardive, évoque notamment la réalité du voyage en Gaule romaine.

(Article publié sur ''Terre de Durbuy'' en juin 2025)

Ph. Laval

vendredi 6 juin 2025

La villa aux cinq pièces

La campagne de fouille archéologique menée sur la villa gallo-romaine de Damblain dans les Vosges en 2008 a révélé l'énigme des cinq pièces richement décorées trouvées parmi les vestiges. Il s'agissait de thermes très bien conservés avec la présence d'une baignoire intacte. Bon visionnage.


samedi 15 mars 2025

Une villa en Provence

Chers.es amis.es, après plusieurs mois d'absence sur le blog, je vous présente une courte vidéo sur une villa romaine mise au jour il y a peu près d' Aix-en-Provence.

Ce type de villa carré était assez courant dans le sud de la Gaule, alors que dans le nord, c'était plutôt le modèle allongé qui prévalait. Les fouilles archéologiques ont révélé que la vocation de cet établissement gallo-romain était essentiellement la viticulture.

Bonne vision et à bientôt.


vendredi 1 novembre 2024

Une villa mise au jour grâce à des mosaïques

"C'est exceptionnel" : des archéologues découvrent l'une des plus grandes villas gallo-romaines grâce à des mosaïques antiques

Écrit par América Lopez

Publié le 13/10/2024 à 18h00


Lors de fouilles sur le site de l'Abbaye St-Jean de Sorde dans les Landes, des archéologues de Bordeaux et de Pau ont mis au jour des mosaïques du 5ᵉ siècle après JC. Et, ils ont découvert par la même occasion la présence d'un palais campagnard de l'époque gallo-romaine mesurant entre 3 000 et 5 000 m². Une découverte scientifique majeure pour la région, car les grandes villas de cette période sont très rares dans le sud de l'Aquitaine.


Laurent Callegarin, spécialiste de l'Antiquité (à gauche), Simon Chassin, archéologue (au centre) et Louis Lopeteguy, archéologue (à droite) devant le sondage archéologique dans le cloître médiéval de l'abbaye de Sorde, dans les Landes, dimanche 13 octobre 2024. © Laurent Callegarin


"C'est une vraie surprise" se réjouit Laurent Callegarin, professeur d'histoire et d'archéologie de l'université de Pau. Ce spécialiste de l'Antiquité et des mondes anciens a participé à un projet collectif de recherche consacré à des fouilles à l'Abbaye Saint-Jean de Sorde, dans le sud des Landes qui se déroulent jusqu'au 25 octobre.


Un motif rare de mosaïque antique découverte sur le site de l'abbaye de Sorde, dimanche 13 octobre 2024. • © Laurent Callegarin


Projet "Sordus"

Ce projet de fouilles s'appelle Sordus et rassemble des archéologues, des historiens, des architectes, ou encore des géologues. Leur mission est de fouiller les sols de l'Abbaye Saint-Jean de Sorde où se sont succédé et superposées trois périodes historiques. Une villa gallo-romaine du 3ᵉ et 4ᵉ siècles après JC, un monastère médiéval qui s'est implanté sur la villa à partir du 10ᵉ siècle jusqu'à la fin du Moyen Âge, puis son architecture a été "modernisée" par une congrégation de Bénédictins de Paris à partir du 17ᵉ siècle qui restera jusqu'à la Révolution française. Tout un programme. Ce site remarquable en Nouvelle-Aquitaine est classé.


L'abbaye de Sorde dans les Landes. Ces nouvelles fouilles archéologiques se sont déroulées sur la partie en herbe du côté du Gave. Sous le site du monastère construit au 10ᵉ siècle, se trouve une immense villa gallo-romaine de plusieurs milliers de m2, sans doute une des plus grandes de la région. • © capture Google maps


Louis Lopeteguy, un jeune chercheur archéologue en doctorat de l'université de Bordeaux et de l'entreprise Hades archéologie, a fait une précieuse découverte pour le patrimoine régional. Au niveau de la galerie nord du cloître de l'abbaye, sous des sépultures maçonnées de l'époque moderne, l'archéologue a trouvé une série de mosaïques romaines géométriques et des fresques de la villa gallo-romaine enfouie. "Ces mosaïques représentent des tresses, des entrelacs, des motifs végétaux, du lierre et des fleurs typiques de l'école des mosaïstes d'Aquitaine de la fin de l'Antiquité", explique-t-il. Ces mosaïques décoraient une des salles de l'ancienne résidence antique. Mais la nouveauté n'est pas là.

Un palais campagnard d'envergure

La présence d'une villa gallo-romaine enfouie sous l'Abbaye St-Jean de Sorde est connue depuis les années 1960, date des premières fouilles scientifiques sur le site. En revanche, personne ne connaissait sa superficie. "La nouveauté, c'est que l'on s'attendait à trouver des vestiges des anciennes écuries ou des forges situées en dehors de la villa. Or, les mosaïques sont celle de l'une des pièces à vivre. On est en présence d'un palais campagnard de plusieurs milliers de mètres carrés, entre 3 000 et 5 000 m² peut-être, qui s'étire tout le long du Gave, s'enthousiasme Laurent Callegarin, avec une salle de bains de 300 m², équipée de piscines, de baignoires, etc. C'est exceptionnel !"

''On vient de lever une villa d'envergure. Elle devait appartenir à un aristocrate qui vivait à Dax et venait ici à la campagne. C'est exceptionnel !''

Laurent Callegarin,

professeur d'histoire et d'archéologie université de Pau (Pyrénées-Atlantiques)

Il faut imaginer dans ce palais campagnard, la présence d'une famille élargie avec des métayers et des petits fermiers. "Ce devait être un grand aristocrate dont le palais s'étalait sur la totalité du village de Sorde-L'Abbaye". Ce qui fait de cette villa l'une des plus vastes d'Aquitaine. "Les grandes villas gallo-romaines de ce type sont nombreuses autour de Bordeaux et dans le Gers, mais ce modèle de ferme est rare dans les Landes et dans le Pays basque", précise le professeur.

Valorisation de la richesse patrimoniale

Cette découverte a attiré entre 200 et 300 curieux ce week-end des 12 et 13 octobre. Des chanceux qui ont pu voir les mosaïques exhumées du lointain passé. "Il faut refermer les fouilles en début de semaine. Leur intérêt est scientifique, mais elles n'ont pas vocation à être exposées au public durablement. Nous allons les recouvrir avec un géotextile donc elles pourront être rouvertes si besoin. Et nous allons réaliser un modèle 3D qui sera présenté aux visiteurs de l'abbaye d'ici à deux ans, et qui permettra de se rendre compte de l'envergure de la villa gallo-romaine qui est sous nos pieds", précise l'universitaire de Pau.

L'Abbaye Saint-Jean de Sorde est classée aux Monuments historiques et inscrite sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco au titre des Chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle en France. Ce site historique se visite toute l'année.

Lien vers l'article du journal :

https://france3-regions.francetvinfo.fr/nouvelle-aquitaine/landes/mont-de-marsan/c-est-exceptionnel-des-archeologues-decouvrent-l-une-des-plus-grandes-villas-gallo-romaines-grace-a-des-mosaiques-antiques-3044820.html