Témoins
numismatiques d'un pouvoir partagé
Introduction
Bien
que l'Empire romain ait été gouverné par un nombre important
d'empereurs soutenus par le Sénat, les magistrats et l'armée, le
partage du pouvoir impérial a quelquefois été nécessaire afin
d'administrer au mieux ses vastes territoires.
A
son apogée, l'Empire s'étendait, en effet, du nord de l'Angleterre
au sud de l'Egypte et du Maroc aux limites de l'ancienne Mésopotamie.
Depuis
la fin de la République et avec le gain des nouveaux territoires
conquis par Jules César, Rome était bien consciente de la nécessité
de devoir partager la gouvernance d'un empire devenu trop grand pour
un seul homme. Ainsi, certains empereurs légitimes, et même des
usurpateurs, ont été assistés d'un ou plusieurs collègues qui
étaient le plus souvent des amis ou des proches du Prince.
Cette
répartition du pouvoir était devenue la norme, lorsque le système
de la Tétrarchie fut mis en place à la fin du IIIe siècle. Si les
deux empereurs portaient alors le titre « d'Auguste »1,
leurs collègues étaient nommés « Césars »2 ;
ces derniers devenant à leur tour « Augustes », après
l'abdication ou la disparition des premiers, quand la succession se
déroulait comme prévu.
Quoique
cette manière de gouverner à quatre n'ait fonctionné qu'une
vingtaine d'années (293 à 311), Constantin le Grand, puis la
plupart des empereurs du Bas-Empire conserveront en partie ce système
collégial jusqu'à la fin de l'Antiquité tardive.
Il
va sans dire que cette répartition du pouvoir se reflète également
sur le monnayage impérial ou provincial, et de nombreuses monnaies,
qu'elles soient en or, en argent ou en bronze attestent cette réalité
historique.
Quelques
exemples du début du Principat à la division de l'Empire3
Déjà
à la fin de la République et après une période de guerres
civiles, les héritiers politiques de Jules César décidèrent de
former un second triumvirat4
pour
une durée de cinq ans qui fut reconduite pour la même période.
Octave, le petit neveu héritier légitime du dictateur reçut
l'Occident, Marc Antoine, fidèle partisan de César, l'Orient, et
Lépide, son maître de cavalerie, l'Afrique.
Denier
de Marc Antoine et Octave,
41 av. J.-C., Ephèse
A/
M. ANT. I(MP). (AV)G. III. VIR. R.P.C.M. BARBAT QP.
Tête
nue de Marc Antoine à droite (O°).
R/
CAESAR IMP. PONR. III. VIR.R.P.C.
Tête
nue d'Octave à droite (O°).
Réf. :
3,85gr. ; Ø
20 mm ; RRC.
517/2 ; RSC. 8
Source
1° : ©
CGB Numismatique Paris
Après
sa victoire sur Marc Antoine et Cléopâtre lors de la bataille
navale d'Actium en 31 av. J.-C., Octave resta seul maître et obtint
du Sénat le titre et le nom d'Auguste en 27 av. J.-C. La République
avait désormais cédé la place au Principat avec Octave Auguste
comme chef suprême à la tête du nouvel Empire.
Marcus
Agrippa, son fidèle ami, considéré comme le collègue de
l'Empereur, reçut l'Imperium5
comme
Octave,
mais il préféra toujours rester dans son ombre.
La
cité de Nîmes, qui avait accueilli une colonie de vétérans
revenus d'Egypte, fera frapper une série de dupondii6
où figurent au droit les têtes d'Auguste et Agrippa, ce dernier
ayant joué un rôle prépondérant dans la victoire remportée lors
de la bataille d'Actium.
Dupondius
de Nîmes,
10 à 14 ap. J.-C., Nîmes
A/
IMP DIVI F P P (Imperator Divi Filius Pater Patriae - Empereur fils
du divin père de la Patrie).
Têtes adossées d'Auguste
laurée à droite et d'Agrippa à gauche portant la couronne rostrale
d'or, récompense suprême pour ses exploits militaires.
R/
COL-NEM (Colonia Nemausus- Colonie de Nîmes)
Crocodile
à droite enchaîné à un palmier. Le palmier est orné de deux
bandelettes flottantes à droite. Au pied poussent deux rejets à
gauche et à droite.
Réf. :
12,9 gr. ; Ø
27
mm ; RIC. 160 ; C. 10 (vente 2008)
Source
2° : ©
Numismatica
Ars Classica
La
période antonine nous a également offert un autre bel exemple de
partage du pouvoir qui s'est bien déroulé.
A
la mort d'Antonin le Pieux, Marc Aurèle et Lucius Verus, ses deux
fils adoptifs, lui succédèrent et devinrent co-empereurs de 161 à
169. Si tous deux avaient reçu l'Impérium
et le même titre d'Auguste, Marc Aurèle, qui avait dix ans de plus
que son frère adoptif, garda néanmoins la prééminence. Mais sa
sagesse et l'union de sa fille Lucilla avec Lucius Verus
contribueront au maintien d'une entente cordiale entre les deux
souverains. Marc Aurèle ayant assuré seul le pouvoir impérial à
la mort de son collègue, et ce jusque l'an 180.
Aureus
de Lucius Verus,
161, Rome
A/
IMP CAES L AVREL VERVS AVG
Tête
nue de Lucius Verus à droite
R/
CONCORDIAE AVGVSTOR // COS II
Marc
Aurèle et Lucius Verus debout face à face, se serrant la main et
tenant chacun un parchemin roulé dans la main gauche.
Réf. :
7,2 gr. ; Ø
20
mm ; RIC. III 449 var ; C. 43 var (vente 2009)
Source
2° : ©
Numismatica
Ars Classica
La
période de troubles et d'anarchie militaire qui survint durant la
seconde moitié du IIIe siècle fut propice à l'arrivée de
plusieurs usurpateurs, dont certains n'avaient d'autre ambition que
celle de défendre leurs provinces en proie aux révoltes des
bagaudes7
et
aux incursions barbares.
Alors
que l'empereur légitime de Rome n'arrivait plus à faire face aux
multiples assauts qui menaçaient d'ébranler les frontières de
l'Empire,
le gouverneur d'Aquitaine, Caius Pius Esuvius Tetricus, usurpa la
pourpre en l'an 271. Il fut acclamé par les légions rhénanes pour
prendre la défense de l'Empire des Gaules contre les Barbares.
L'usurpateur régna à Trèves pendant trois ans avec son fils,
Tetricus II, qu'il nomma César, jusqu'à leur reddition devant
l'Empereur Aurélien en 274. L'épisode de l'Empire des Gaules
(260-274) prit fin et l'unité de l'Empire fut rétablie.
Antoninien
de Tetricus Ier,
272-273, Cologne A/
IMP [TETRICV]S PF AVG
Buste
radié et visage barbu à droite
Réf. :
2,16 gr. ; Ø
18 mm ; RIC. 88
Source
3° : collection privée
|
Antoninien
de Tetricus II,
272-273, Cologne A/
[C P]IV ESV [TETR]ICVS CAES
Buste
radié et visage imberbe à droite
Réf. :
1,24 gr. ; Ø
15 à 19 mm ; RIC. 270
Source
3° : collection privée
|
L'accession
au pouvoir de Dioclétien en 284 permit à l'Empire de se relever de
la crise du IIIe siècle. Bien qu'il ait autorisé une persécution
contre les chrétiens, principalement en Orient, qui dura une dizaine
d'années (303 à 313), l'Empereur entreprit néanmoins de grandes
réformes civiles, militaires et monétaires qui donneront
véritablement un second souffle à l'Empire.
Il
choisit d'abord Maximien Hercule comme césar en 286 pour le seconder
en Occident, puis il mit en place l'ingénieux système de
gouvernance à quatre, appelé la Tétrarchie, en 293. Ainsi,
lui-même et son collègue, qu'il nomma Auguste, désignèrent chacun
un césar qui leur fut subordonné. Tous les quatre dirigèrent un
quart de l'Empire et il fut convenu que les deux césars devinrent à
leur tour augustes au bout de vingt ans. Dioclétien nomma Galère
pour l'assister en Orient, tandis que Maximien Hercule choisit
Constance Chlore pour le seconder en Occident.
Avec
ce système, Dioclétien était parvenu à repousser avec succès les
ennemis de l'Empire et à maintenir les frontières du limes.
Fidèles
à leur engagement, les deux augustes abdiquèrent comme prévu et
Dioclétien se retira dans son palais de Split en 305. Constance
Chlore devint alors Auguste et choisit Sévère comme césar, alors
que Maximin II Daïa devint le césar de Galère.
A
la mort de Constance en été de l'année 306, Sévère devint
Auguste et prit comme césar Constantin 1er, le fils de Constance,
acclamé par les troupes de Britannia
(Angleterre). Mais, dès octobre de la même année, Maxence, le fils
de Maximien Hercule, prit le pourvoir en Italie et une guerre éclata
entre les tétrarques. Le système de la Tétrarchie fut abandonné
peu après à la faveur de Constantin Ier qui vainquit Maxence à la
bataille du pont Milvius en 312.
Argenteus
de Dioclétien.
300-301, Trèves
A/ DIOCLETI-ANVS AVG
Buste lauré et cuirassé
à droite, vu de trois quarts en avant.
R/ VIRTVS-MILITVM /
(massue)
Les quatre princes
sacrifiant au-dessus d’un trépied devant une porte de camp à six
tourelles.
Réf. : Argent.
3,01 gr. ; Ø 18,5
mm ; axe des coins 6 h ; C.516 v ; RIC.123 a.
Source 4° : ©
iNumis (Paris)
Après
de nombreuses mésententes et conflits entre les différents
héritiers de la Tétrarchie, Constantin parvint à accaparer le
pouvoir sur l'ensemble de l'Empire en 324. Son règne très long (306
à 337) lui donna l'occasion de réaliser de nombreuses réformes. En
outre, le christianisme fut désormais autorisé grâce à son édit
de tolérance promulgué en 313.
Il
créa également un nouveau système monétaire basé sur le solidus.
Cette monnaie d'or, d'un poids de 4,55 gr., remplaça l'aureus, et la
silique le denier d'argent.
Il
éleva ses trois fils au césariat pour le seconder, puis ses neveux
Flavius Dalmatius et Flavius Hannibalianus en 335. Constantin II
reçut l'Occident, Constant 1er, l'Italie, la Pannonie et l'Afrique,
et Constance II la partie orientale de l'Empire et l'Egypte. Les
neveux de Constantin Ier devant se satisfaire de quelques
territoires8
éparses.
Ensuite,
Constant récupéra la part de Constantin II, après son élimination
en 340, puis l'Empire revint à Constance II, lorsque l'usurpateur
Magnence, qui avait éliminé Constant en 350, fut poussé au suicide
après sa défaite de la bataille de
Mons Seleucus9
face à l'armée de Constance II.
Ce
dernier garda la main sur l'Orient et désigna son cousin, Julien,
dit « le Philosophe », comme César en 355 pour gouverner
l'Occident toujours menacé par les incursions barbares. Julien, seul
rescapé du massacre de sa famille perpétré par les héritiers de
Constantin Ier, deviendra Empereur après la disparition de Constance
II en 363.
Solidus
de Constance II,
353-354, Thessalonique
A/
DN CONSTANTIVS-MAX AVGVSTVS
Buste
diadémé, drapé et cuirassé de Constance à droite, vu de trois
quarts en avant.
R/
GLORIA-REI-PVBLICAE // TESS
Rome
et Constantinople assises de face sur une banquette tenant ensemble
un bouclier sur lequel est inscrit : « VOT/XXX/MVLT/XXXX
en quatre lignes.
Réf. :
4,24 gr. ; Ø
21,5
mm ; RIC. 154 (R4)
Source
1° : © CGB Numismatique Paris
Cette
magnifique monnaie d'or révèle un autre évènement important
survenu durant le règne de Constantin Ier (le père de Constance
II). Au revers figure, en effet, une allégorie où la Tyché10
Roma
est assise à côté de la Tyché
de Constantinopolis, la nouvelle capitale de l'Empire d'Orient fondée
en 330 par Constantin Ier.
Le
choix de cette nouvelle capitale présagera la division future de
l'Empire entre l'Occident et l'Orient.
La
dynastie constantinienne s'éteignit avec la disparition de Jovien,
le successeur de Julien, en 364.
Une
assemblée de dignitaires et d'officiers supérieurs se réunit alors
sans tarder pour désigner Valentinien comme nouvel Empereur.
Celui-ci était un officier pannonien de haut rang, déjà attaché à
la maison impériale.
Dès
sa nomination, il choisit son frère cadet, Valens, comme co-empereur
pour gouverner la partie orientale de l'Empire.
A
la mort de Valentinien Ier en 375, ses deux fils lui succédèrent.
Gratien devint Empereur d'Occident et son demi-frère, Valentinien
II, se vit attribuer l'Italie, la Pannonie et l'Afrique, tandis que
Théodose Ier fut désigné par Gratien pour prendre la succession de
son oncle Valens, tué lors de la bataille d'Andrinople en 378.
Avec
l'élimination de Gratien par l'usurpateur Maxime en 383, puis
l'assassinat de Valentinien II, âgé seulement de 21 ans, en 392 par
Arbogast, le maître de la milice de Théodose en charge
d'administrer l'Occident, la dynastie valentinienne prit fin.
Solidus
de Valentinien Ier,
364, Thessalonique
A/
DN VALENTINI-ANVS PF AVG
Buste
diadémé, drapé et cuirassé de Valentinien à droite, vu de trois
quarts en avant.
R/
VICTOR-IA AVGG/-/-// SMTES (la victoire des augustes)
Valentinien
et Valens diadémés et vêtus de la robe consulaire assis de face
sur un trône, tenant ensemble, un globe orné ; derrière eux,
la victoire debout de face les ailes ouvertes.
Réf. :
4,41 gr. ; Ø
21
mm ; axe des coins 6 h ; RIC. 4 a1
Source
1° : ©
CGB Numismatique Paris
Si
Théodose 1er fut un des trois co-empereurs11
de la période située entre 379 et 392, il sera aussi le dernier à
gouverner un empire unifié, jusqu'à sa mort au début de l'année
395.
Ayant
reçu la partie orientale de l'Empire, il s'installa à
Constantinople dès le début, puis à Milan vers la fin de son
règne.
Il
encouragea fortement l'expansion du christianisme trinitaire, en
fermant les temples païens et en favorisant la foi catholique au
détriment de la doctrine arienne. Son règne est également
caractérisé par une dévaluation monétaire qui eut notamment comme
conséquence le rognage des siliques d'argent.
Après
sa mort, l'Empire, qu'il avait réussi à maintenir uni, fut
définitivement divisé et partagé entre ses deux fils. Arcadius
reçut l'Orient et Honorius l'Occident ; mais c'est Stilicon, un
Vandale romanisé, qui veillera sur les deux jeunes empereurs.
Nummus
Ae3 d'Arcadius,
406-408, Cyzique
A/
DN ARCADI-VS PF AVG
Buste
diadémé, drapé et cuirassé à droite, une étoile derrière.
R/
GLORI-A ROMA-NORVM // SMKA
Trois
empereurs (Arcadius, Honorius et Théodose II) debout de face tenant
une haste et appuyés sur leur bouclier pour les deux à l'extérieur.
Celui du milieu tient uniquement une haste.
Réf. :
1,83 gr. ; RIC. X 148 (C2) ;
n° NBD : 62807
(collection privée)
Source
5° : Nvmmvs-bible II
6°
Carte de l'Empire divisé en 395. En rouge la partie occidentale
dévolue à Honorius et l'autre partie orientale (en mauve) à
Arcadius. L'Empire d'Occident disparut en 476, sous la pression des
Barbares, tandis que la partie orientale subsistera jusqu'en 1473
sous le nom d'Empire byzantin.
Notes
et références :
Auguste :
d'abord titre religieux, ce nom fut attribué à Octavien par le
Sénat en -27. Ensuite, il sera porté par les empereurs.
César :
d'abord cognomen du dictateur Jules César, ce nom devint un titre
porté par les empereurs. Le césar étant subordonné à l'auguste.
Loin d'être une
liste exhaustive, ces quelques exemples illustrent bien ce partage du
pouvoir.
Triumvirat :
alliance politique de trois chefs pour partager la gouvernance sous
la République..
Imperium :
pouvoir civil et militaire suprême réservé aux empereurs et à
certains magistrats.
Dupondii :
le
pluriel de « dupondius »,
est une monnaie en bronze valant un demi sesterce. Coupée en deux,
chaque partie valait alors un as.
Bagaudes : nom
attribué aux bandes armées qui ravageaient le nord-ouest de la
Gaule au cours de la seconde moitié du IIIe siècle et au IVe
siècle. Ils ont été combattus au même titre que les Barbares.
Ces territoires
sont la Thrace, l'Achaïe et la Macédoine pour Dalmatius, et le
diocèse du Pont pour Hannibalianus.
Mons
Séleucus
est situé à La
Bâtie-Montsaléon dans les
Hautes-Alpes, en France.
La Tyché
est la divinité de la fortune d'une cité ou d'un Etat. Ses
attributs sont la corne d'abondance et la couronne pour la Tyché
de Constantinople, et le casque pour celle de Rome.
Co-empereur avec
Gratien jusqu'en 383, avec Valentinien II jusqu'en 392, avec Maxime
jusqu'en 388 et finalement avec l'usurpateur Eugène jusqu'en 394.
Je
tiens à remercier les différents sites consultés pour leurs
crédits photos.
Source
des illustrations :
1°
https://www.cgb.fr/
2°
http://www.ancient-roman-coin.com/
3°
Collection personnelle
4°
https://www.inumis.com/
5°
https://www.nummus-bible-database.com/monnaie-18686.htm
6°
Carte de l'Empire divisé en 395 (source Wikipédia, domaine public).
(Article publié en mars
2021 dans le bulletin du Cercle numismatique du Val de Salm en
Belgique).
Ph. Laval