Présentation

Même si l'Antiquité romaine fut une période rude et souvent implacable pour beaucoup d'êtres humains, nous ne pouvons nier que dans de nombreux domaines la civilisation romaine fut innovante et même fascinante. Si Rome a conquis nos terres à la force du glaive pour imposer ensuite son pouvoir sous la férule des légions et de son administration centralisée, elle nous a aussi légué sa culture et, pour ce qui nous intéresse dans ce blog, son savoir-faire en matière d'urbanisme, d'architecture et de construction. C'est précisément ce domaine des habitations romaines typiques des campagnes, les villae, que je vous invite à découvrir ensemble.

mardi 2 mars 2021

Un empire trop vaste pour un seul homme

Témoins numismatiques d'un pouvoir partagé

Introduction

Bien que l'Empire romain ait été gouverné par un nombre important d'empereurs soutenus par le Sénat, les magistrats et l'armée, le partage du pouvoir impérial a quelquefois été nécessaire afin d'administrer au mieux ses vastes territoires.

A son apogée, l'Empire s'étendait, en effet, du nord de l'Angleterre au sud de l'Egypte et du Maroc aux limites de l'ancienne Mésopotamie.

Depuis la fin de la République et avec le gain des nouveaux territoires conquis par Jules César, Rome était bien consciente de la nécessité de devoir partager la gouvernance d'un empire devenu trop grand pour un seul homme. Ainsi, certains empereurs légitimes, et même des usurpateurs, ont été assistés d'un ou plusieurs collègues qui étaient le plus souvent des amis ou des proches du Prince.

Cette répartition du pouvoir était devenue la norme, lorsque le système de la Tétrarchie fut mis en place à la fin du IIIe siècle. Si les deux empereurs portaient alors le titre « d'Auguste »1, leurs collègues étaient nommés « Césars »2 ; ces derniers devenant à leur tour « Augustes », après l'abdication ou la disparition des premiers, quand la succession se déroulait comme prévu.

Quoique cette manière de gouverner à quatre n'ait fonctionné qu'une vingtaine d'années (293 à 311), Constantin le Grand, puis la plupart des empereurs du Bas-Empire conserveront en partie ce système collégial jusqu'à la fin de l'Antiquité tardive.

Il va sans dire que cette répartition du pouvoir se reflète également sur le monnayage impérial ou provincial, et de nombreuses monnaies, qu'elles soient en or, en argent ou en bronze attestent cette réalité historique.

Quelques exemples du début du Principat à la division de l'Empire3

Déjà à la fin de la République et après une période de guerres civiles, les héritiers politiques de Jules César décidèrent de former un second triumvirat4 pour une durée de cinq ans qui fut reconduite pour la même période. Octave, le petit neveu héritier légitime du dictateur reçut l'Occident, Marc Antoine, fidèle partisan de César, l'Orient, et Lépide, son maître de cavalerie, l'Afrique.

Denier de Marc Antoine et Octave, 41 av. J.-C., Ephèse


A/ M. ANT. I(MP). (AV)G. III. VIR. R.P.C.M. BARBAT QP.

Tête nue de Marc Antoine à droite (O°).

R/ CAESAR IMP. PONR. III. VIR.R.P.C.

Tête nue d'Octave à droite (O°).

Réf. : 3,85gr. ; Ø 20 mm ; RRC. 517/2 ; RSC. 8

Source 1° : © CGB Numismatique Paris

Après sa victoire sur Marc Antoine et Cléopâtre lors de la bataille navale d'Actium en 31 av. J.-C., Octave resta seul maître et obtint du Sénat le titre et le nom d'Auguste en 27 av. J.-C. La République avait désormais cédé la place au Principat avec Octave Auguste comme chef suprême à la tête du nouvel Empire.

Marcus Agrippa, son fidèle ami, considéré comme le collègue de l'Empereur, reçut l'Imperium5 comme Octave, mais il préféra toujours rester dans son ombre.

La cité de Nîmes, qui avait accueilli une colonie de vétérans revenus d'Egypte, fera frapper une série de dupondii6 où figurent au droit les têtes d'Auguste et Agrippa, ce dernier ayant joué un rôle prépondérant dans la victoire remportée lors de la bataille d'Actium.

Dupondius de Nîmes, 10 à 14 ap. J.-C., Nîmes

A/ IMP DIVI F P P (Imperator Divi Filius Pater Patriae - Empereur fils du divin père de la Patrie).

Têtes adossées d'Auguste laurée à droite et d'Agrippa à gauche portant la couronne rostrale d'or, récompense suprême pour ses exploits militaires.

R/ COL-NEM (Colonia Nemausus- Colonie de Nîmes)

Crocodile à droite enchaîné à un palmier. Le palmier est orné de deux bandelettes flottantes à droite. Au pied poussent deux rejets à gauche et à droite.

Réf. : 12,9 gr. ; Ø 27 mm ; RIC. 160 ; C. 10 (vente 2008)

Source 2° : © Numismatica Ars Classica

La période antonine nous a également offert un autre bel exemple de partage du pouvoir qui s'est bien déroulé.

A la mort d'Antonin le Pieux, Marc Aurèle et Lucius Verus, ses deux fils adoptifs, lui succédèrent et devinrent co-empereurs de 161 à 169. Si tous deux avaient reçu l'Impérium et le même titre d'Auguste, Marc Aurèle, qui avait dix ans de plus que son frère adoptif, garda néanmoins la prééminence. Mais sa sagesse et l'union de sa fille Lucilla avec Lucius Verus contribueront au maintien d'une entente cordiale entre les deux souverains. Marc Aurèle ayant assuré seul le pouvoir impérial à la mort de son collègue, et ce jusque l'an 180.

Aureus de Lucius Verus, 161, Rome

A/ IMP CAES L AVREL VERVS AVG

Tête nue de Lucius Verus à droite

R/ CONCORDIAE AVGVSTOR // COS II

Marc Aurèle et Lucius Verus debout face à face, se serrant la main et tenant chacun un parchemin roulé dans la main gauche.

Réf. : 7,2 gr. ; Ø 20 mm ; RIC. III 449 var ; C. 43 var (vente 2009)

Source 2° : © Numismatica Ars Classica

La période de troubles et d'anarchie militaire qui survint durant la seconde moitié du IIIe siècle fut propice à l'arrivée de plusieurs usurpateurs, dont certains n'avaient d'autre ambition que celle de défendre leurs provinces en proie aux révoltes des bagaudes7 et aux incursions barbares.

Alors que l'empereur légitime de Rome n'arrivait plus à faire face aux multiples assauts qui menaçaient d'ébranler les frontières de l'Empire, le gouverneur d'Aquitaine, Caius Pius Esuvius Tetricus, usurpa la pourpre en l'an 271. Il fut acclamé par les légions rhénanes pour prendre la défense de l'Empire des Gaules contre les Barbares. L'usurpateur régna à Trèves pendant trois ans avec son fils, Tetricus II, qu'il nomma César, jusqu'à leur reddition devant l'Empereur Aurélien en 274. L'épisode de l'Empire des Gaules (260-274) prit fin et l'unité de l'Empire fut rétablie.


Antoninien de Tetricus Ier, 272-273, Cologne

A/ IMP [TETRICV]S PF AVG

Buste radié et visage barbu à droite

Réf. : 2,16 gr. ; Ø 18 mm ; RIC. 88

Source 3° : collection privée

Antoninien de Tetricus II, 272-273, Cologne

A/ [C P]IV ESV [TETR]ICVS CAES

Buste radié et visage imberbe à droite

Réf. : 1,24 gr. ; Ø 15 à 19 mm ; RIC. 270

Source 3° : collection privée


L'accession au pouvoir de Dioclétien en 284 permit à l'Empire de se relever de la crise du IIIe siècle. Bien qu'il ait autorisé une persécution contre les chrétiens, principalement en Orient, qui dura une dizaine d'années (303 à 313), l'Empereur entreprit néanmoins de grandes réformes civiles, militaires et monétaires qui donneront véritablement un second souffle à l'Empire.

Il choisit d'abord Maximien Hercule comme césar en 286 pour le seconder en Occident, puis il mit en place l'ingénieux système de gouvernance à quatre, appelé la Tétrarchie, en 293. Ainsi, lui-même et son collègue, qu'il nomma Auguste, désignèrent chacun un césar qui leur fut subordonné. Tous les quatre dirigèrent un quart de l'Empire et il fut convenu que les deux césars devinrent à leur tour augustes au bout de vingt ans. Dioclétien nomma Galère pour l'assister en Orient, tandis que Maximien Hercule choisit Constance Chlore pour le seconder en Occident.

Avec ce système, Dioclétien était parvenu à repousser avec succès les ennemis de l'Empire et à maintenir les frontières du limes.

Fidèles à leur engagement, les deux augustes abdiquèrent comme prévu et Dioclétien se retira dans son palais de Split en 305. Constance Chlore devint alors Auguste et choisit Sévère comme césar, alors que Maximin II Daïa devint le césar de Galère.

A la mort de Constance en été de l'année 306, Sévère devint Auguste et prit comme césar Constantin 1er, le fils de Constance, acclamé par les troupes de Britannia (Angleterre). Mais, dès octobre de la même année, Maxence, le fils de Maximien Hercule, prit le pourvoir en Italie et une guerre éclata entre les tétrarques. Le système de la Tétrarchie fut abandonné peu après à la faveur de Constantin Ier qui vainquit Maxence à la bataille du pont Milvius en 312.

Argenteus de Dioclétien. 300-301, Trèves


A/ DIOCLETI-ANVS AVG

Buste lauré et cuirassé à droite, vu de trois quarts en avant.

R/ VIRTVS-MILITVM / (massue)

Les quatre princes sacrifiant au-dessus d’un trépied devant une porte de camp à six tourelles.

Réf. : Argent. 3,01 gr. ; Ø 18,5 mm ; axe des coins 6 h ; C.516 v ; RIC.123 a.

Source 4° : © iNumis (Paris)

Après de nombreuses mésententes et conflits entre les différents héritiers de la Tétrarchie, Constantin parvint à accaparer le pouvoir sur l'ensemble de l'Empire en 324. Son règne très long (306 à 337) lui donna l'occasion de réaliser de nombreuses réformes. En outre, le christianisme fut désormais autorisé grâce à son édit de tolérance promulgué en 313.

Il créa également un nouveau système monétaire basé sur le solidus. Cette monnaie d'or, d'un poids de 4,55 gr., remplaça l'aureus, et la silique le denier d'argent.

Il éleva ses trois fils au césariat pour le seconder, puis ses neveux Flavius Dalmatius et Flavius Hannibalianus en 335. Constantin II reçut l'Occident, Constant 1er, l'Italie, la Pannonie et l'Afrique, et Constance II la partie orientale de l'Empire et l'Egypte. Les neveux de Constantin Ier devant se satisfaire de quelques territoires8 éparses.

Ensuite, Constant récupéra la part de Constantin II, après son élimination en 340, puis l'Empire revint à Constance II, lorsque l'usurpateur Magnence, qui avait éliminé Constant en 350, fut poussé au suicide après sa défaite de la bataille de Mons Seleucus9 face à l'armée de Constance II.

Ce dernier garda la main sur l'Orient et désigna son cousin, Julien, dit « le Philosophe », comme César en 355 pour gouverner l'Occident toujours menacé par les incursions barbares. Julien, seul rescapé du massacre de sa famille perpétré par les héritiers de Constantin Ier, deviendra Empereur après la disparition de Constance II en 363.

Solidus de Constance II, 353-354, Thessalonique


A/ DN CONSTANTIVS-MAX AVGVSTVS

Buste diadémé, drapé et cuirassé de Constance à droite, vu de trois quarts en avant.

R/ GLORIA-REI-PVBLICAE // TESS

Rome et Constantinople assises de face sur une banquette tenant ensemble un bouclier sur lequel est inscrit : « VOT/XXX/MVLT/XXXX en quatre lignes.

Réf. : 4,24 gr. ; Ø 21,5 mm ; RIC. 154 (R4)

Source 1° : © CGB Numismatique Paris

Cette magnifique monnaie d'or révèle un autre évènement important survenu durant le règne de Constantin Ier (le père de Constance II). Au revers figure, en effet, une allégorie où la Tyché10 Roma est assise à côté de la Tyché de Constantinopolis, la nouvelle capitale de l'Empire d'Orient fondée en 330 par Constantin Ier.

Le choix de cette nouvelle capitale présagera la division future de l'Empire entre l'Occident et l'Orient.

La dynastie constantinienne s'éteignit avec la disparition de Jovien, le successeur de Julien, en 364.

Une assemblée de dignitaires et d'officiers supérieurs se réunit alors sans tarder pour désigner Valentinien comme nouvel Empereur. Celui-ci était un officier pannonien de haut rang, déjà attaché à la maison impériale.

Dès sa nomination, il choisit son frère cadet, Valens, comme co-empereur pour gouverner la partie orientale de l'Empire.

A la mort de Valentinien Ier en 375, ses deux fils lui succédèrent. Gratien devint Empereur d'Occident et son demi-frère, Valentinien II, se vit attribuer l'Italie, la Pannonie et l'Afrique, tandis que Théodose Ier fut désigné par Gratien pour prendre la succession de son oncle Valens, tué lors de la bataille d'Andrinople en 378.

Avec l'élimination de Gratien par l'usurpateur Maxime en 383, puis l'assassinat de Valentinien II, âgé seulement de 21 ans, en 392 par Arbogast, le maître de la milice de Théodose en charge d'administrer l'Occident, la dynastie valentinienne prit fin.

Solidus de Valentinien Ier, 364, Thessalonique


A/ DN VALENTINI-ANVS PF AVG

Buste diadémé, drapé et cuirassé de Valentinien à droite, vu de trois quarts en avant.

R/ VICTOR-IA AVGG/-/-// SMTES (la victoire des augustes)

Valentinien et Valens diadémés et vêtus de la robe consulaire assis de face sur un trône, tenant ensemble, un globe orné ; derrière eux, la victoire debout de face les ailes ouvertes.

Réf. : 4,41 gr. ; Ø 21 mm ; axe des coins 6 h ; RIC. 4 a1

Source 1° : © CGB Numismatique Paris

Si Théodose 1er fut un des trois co-empereurs11 de la période située entre 379 et 392, il sera aussi le dernier à gouverner un empire unifié, jusqu'à sa mort au début de l'année 395.

Ayant reçu la partie orientale de l'Empire, il s'installa à Constantinople dès le début, puis à Milan vers la fin de son règne.

Il encouragea fortement l'expansion du christianisme trinitaire, en fermant les temples païens et en favorisant la foi catholique au détriment de la doctrine arienne. Son règne est également caractérisé par une dévaluation monétaire qui eut notamment comme conséquence le rognage des siliques d'argent.

Après sa mort, l'Empire, qu'il avait réussi à maintenir uni, fut définitivement divisé et partagé entre ses deux fils. Arcadius reçut l'Orient et Honorius l'Occident ; mais c'est Stilicon, un Vandale romanisé, qui veillera sur les deux jeunes empereurs.

Nummus Ae3 d'Arcadius, 406-408, Cyzique



A/ DN ARCADI-VS PF AVG

Buste diadémé, drapé et cuirassé à droite, une étoile derrière.

R/ GLORI-A ROMA-NORVM // SMKA

Trois empereurs (Arcadius, Honorius et Théodose II) debout de face tenant une haste et appuyés sur leur bouclier pour les deux à l'extérieur. Celui du milieu tient uniquement une haste.

Réf. : 1,83 gr. ; RIC. X 148 (C2) ; n° NBD : 62807 (collection privée)

Source 5° : Nvmmvs-bible II


6° Carte de l'Empire divisé en 395. En rouge la partie occidentale dévolue à Honorius et l'autre partie orientale (en mauve) à Arcadius. L'Empire d'Occident disparut en 476, sous la pression des Barbares, tandis que la partie orientale subsistera jusqu'en 1473 sous le nom d'Empire byzantin.

Notes et références :

  1. Auguste : d'abord titre religieux, ce nom fut attribué à Octavien par le Sénat en -27. Ensuite, il sera porté par les empereurs.

  2. César : d'abord cognomen du dictateur Jules César, ce nom devint un titre porté par les empereurs. Le césar étant subordonné à l'auguste.

  3. Loin d'être une liste exhaustive, ces quelques exemples illustrent bien ce partage du pouvoir.

  4. Triumvirat : alliance politique de trois chefs pour partager la gouvernance sous la République..

  5. Imperium : pouvoir civil et militaire suprême réservé aux empereurs et à certains magistrats.

  6. Dupondii : le pluriel de « dupondius », est une monnaie en bronze valant un demi sesterce. Coupée en deux, chaque partie valait alors un as.

  7. Bagaudes : nom attribué aux bandes armées qui ravageaient le nord-ouest de la Gaule au cours de la seconde moitié du IIIe siècle et au IVe siècle. Ils ont été combattus au même titre que les Barbares.

  8. Ces territoires sont la Thrace, l'Achaïe et la Macédoine pour Dalmatius, et le diocèse du Pont pour Hannibalianus.

  9. Mons Séleucus est situé à La Bâtie-Montsaléon dans les Hautes-Alpes, en France.

  10. La Tyché est la divinité de la fortune d'une cité ou d'un Etat. Ses attributs sont la corne d'abondance et la couronne pour la Tyché de Constantinople, et le casque pour celle de Rome.

  11. Co-empereur avec Gratien jusqu'en 383, avec Valentinien II jusqu'en 392, avec Maxime jusqu'en 388 et finalement avec l'usurpateur Eugène jusqu'en 394.

Je tiens à remercier les différents sites consultés pour leurs crédits photos.

Source des illustrations :

https://www.cgb.fr/

http://www.ancient-roman-coin.com/

3° Collection personnelle

https://www.inumis.com/

https://www.nummus-bible-database.com/monnaie-18686.htm

Carte de l'Empire divisé en 395 (source Wikipédia, domaine public).

(Article publié en mars 2021 dans le bulletin du Cercle numismatique du Val de Salm en Belgique).

Ph. Laval