Présentation

Même si l'Antiquité romaine fut une période rude et souvent implacable pour beaucoup d'êtres humains, nous ne pouvons nier que dans de nombreux domaines la civilisation romaine fut innovante et même fascinante. Si Rome a conquis nos terres à la force du glaive pour imposer ensuite son pouvoir sous la férule des légions et de son administration centralisée, elle nous a aussi légué sa culture et, pour ce qui nous intéresse dans ce blog, son savoir-faire en matière d'urbanisme, d'architecture et de construction. C'est précisément ce domaine des habitations romaines typiques des campagnes, les villae, que je vous invite à découvrir ensemble.

mardi 20 mars 2018

Extraits de quelques auteurs de l'Antiquité (4)


De Palladius :

(L'économie rurale de Palladius Rutilius Taurus Aemilianus, trad. nouvelle par M. Cabaret-Dupaty, C. L. F. Panckoucke, 1843. Bibliothèque latine-française. Seconde série. De L'Economie Rurale, livre I.)

Un choix et de l'exposition du terrain.

VII. Lorsque vous voudrez choisir ou acquérir une terre, examinez si la négligence de ceux qui la cultivent n'en a pas altéré la fécondité naturelle, ni fait dégénérer la richesse et la vigueur de ses produits. Quoiqu'on puisse corriger ce défaut par la greffe, il est plus avantageux d'exploiter un sol qui n'a pas souffert, que d'être réduit à attendre les fruits tardifs d'une terre amendée. En semant d'autres blés, il vous sera facile de réparer le vice des précédents. Il n'en est pas de même des vignes. Évitez soigneusement la faute de ceux qui, n'aspirant qu'à la réputation de posséder plus de terrain façonné que les autres, ont couvert le sol de souches stériles ou de mauvais fruits. Acheter une terre plantée de la sorte, ce serait se condamner à d'innombrables travaux pour la rendre fertile.
Voici quelle doit être l'exposition du terrain que vous voulez choisir. Dans les climats froids, il regardera le midi ou le levant. Si ces deux points étaient masqués par une montagne, il serait glacé de froid ; au nord, il ne verrait point le soleil ; au couchant, il en jouirait trop tard. Au contraire, dans les climats chauds, préférez le côté du nord, comme le meilleur, le plus agréable et le plus sain. S'il y a une rivière voisine de l'endroit où vous voulez placer vos constructions, examinez-en la nature, parce que souvent il en sort des exhalaisons funestes ; dans ce cas, il faut vous en écarter pour bâtir. Évitez les marais à tout prix, surtout ceux qui sont au midi ou au couchant, et qui se dessèchent en été : ils corrompent l'air et engendrent des animaux nuisibles.

Du bâtiment.

VIII. Proportionnez vos constructions à la valeur du fonds et à l'état de votre fortune. Quand on bâtit sur une trop vaste échelle, l'entretien coûte souvent plus que l'édifice. Calculez donc les dimensions du bâtiment de manière que, s'il éprouve quelque accident, un ou deux ans au plus du revenu de la terre où il se trouve, suffisent pour le réparer. Le maître-logis occupera un terrain un peu plus élevé et plus sec que les autres parties, afin que les fondations en soient plus solides et la vue plus riante. Élargissez chaque côté de ses fondations d'un demi-pied de plus que le mur qu'elles doivent porter. Si vous rencontrez le roc ou le tuf, vous les creuserez simplement d'un ou de deux pieds. Si le fond est une argile ferme ou compacte, vous leur donnerez en profondeur la cinquième on la sixième partie de l'élévation totale que l'édifice doit avoir. Si le terrain est trop mou, vous les enterrerez davantage, jusqu'à ce que vous découvriez la pure argile qui ne présente aucun vestige de décombres. Si vous ne la trouvez point, vous les creuserez proportionnellement au quart de la hauteur du bâtiment.
De plus, ayez soin que votre construction puisse être entourée de jardins, de vergers ou de prairies. La façade doit, dans toute sa longueur, regarder le midi, de sorte qu'en hiver un de ses angles voie le soleil levant, et qu'elle se détourne un peu du couchant. Ainsi, bien éclairé dans la saison des frimas, le bâtiment sera garanti de la chaleur en été.


A suivre...

mercredi 7 mars 2018

La villa romaine de Plassac en Aquitaine


Mosaïque à écailles, détail
A l'image des somptueuses demeures maritimes du Golfe de Naples, la villa monumentale de Plassac reposait sur les bords de l'estuaire de la Gironde, en pays aquitain.
Les vestiges du bâtiment se trouvent aujourd'hui au centre de Plassac, à côté de l'église, et occupent une surface d'environ un hectare.
Le site fut reconnu comme étant une villa romaine au XIXe siècle, puis identifié par l'historien Camille Jullian en 1890 comme étant la propriété mentionnée dans le testament de l'évêque Bertechramnus en 613 ou 615 ap. J.-C.

Historique

Les différentes campagnes de fouilles archéologiques menées sur le site de 1962 à 1978 par Mme Gabrielle Emard et son équipe ont mis en évidence plusieurs phases de construction dans la chronologie de la villa qui va du début du premier siècle au cinquième siècle.

Conjointement aux fouilles archéologiques, les vestiges ont bénéficié d'une étude approfondie, et les ruines d'un relevé architectural complet réalisé par l'IRAA (Institut de Recherche sur l’Architecture Antique). Les données archéologiques recueillies et le relevé des vestiges ont révélé trois étapes successives de construction et d'aménagements de la villa.

Ainsi, la première habitation aurait été bâtie entre l'an 20 et l'an 40 du premier siècle de notre ère par un certain Blattius, d'où le nom Blattiacum (domaine de Blattius), devenu Blacciacum au début du VIIe siècle, puis Plassac dès le Moyen Age.

Le bâtiment fut édifié sur une terrasse artificielle surplombant la Gironde. De cette façon, le belvédère de 70m², faisant office de salle à manger, fut disposé au centre d'un vaste hémicycle en façade, offrant ainsi une vue panoramique sur l'estuaire.
A l'arrière de cette somptueuse façade s'articulaient des appartements, des jardins, des cours à péristyles et des galeries à colonnades.
Certaines pièces étaient décorées de mosaïques, de marbres et de peintures de style pompéien. Les colonnes en calcaire des galeries de style dorique composite mesuraient 4 m de haut.

Le second siècle marque l'apogée de la villa. Entre l'an 100 et 120, l'édifice subit une transformation en profondeur : certaines parties sont démolies pour laisser place à un bâtiment plus compact, tout en privilégiant toujours la façade ouest (celle du belvédère-salle à manger). Une galerie divise la cour intérieure de l’habitation en deux parties : l'une menant à la salle à manger, côté estuaire, et l'autre sur des jardins entourés d'appartements privés.
Ainsi, à l'imitation du Palatin de Rome et sur un plan axial et symétrique, la salle à manger, à l'ouest, s'aligne sur un petit vestibule, entre deux patios, qui conduit aux appartements privés de l'habitation à l'Est.

Sur le côté Nord, un vaste vestibule mosaïqué occupe le centre de l'aile reconstruite. Cette salle est accessible par une galerie à portique monumentale en façade devant laquelle un bassin étroit s'étire sur une longueur de 51 m. Au-delà du bassin devait se trouver un jardin ou un parc d'agrément.
Si la villa est à présent davantage fermée sur sa cour intérieure à la façon des villas à péristyle, elle s'ouvre aussi sur l'extérieur par son grand portique septentrional.

Les vestiges que le visiteur aperçoit en premier sont ceux du bâtiment de la troisième et dernière phase d'aménagement qui eut lieu au Bas-empire.
Au tournant du IVe et Ve siècle, l'ensemble de la villa connu une transformation importante : la cour intérieure fut conservée mais entourée d'un mur bahut sur lequel s’appuyaient des colonnes. Le portique de la façade Nord fut reculé de trois mètres en arrière, et il semblerait que l'aile Nord fut transformée en magasins et en locaux de réserves. L'aile Est, devenue le logement des propriétaires, fut rehaussée de 50 à 60 cm en raison de l'installation de pièces sur hypocaustes. Les thermes se trouvant à présent au Nord de l'aile Est et plusieurs pièces, dont certaines prolongées par une abside, étaient couvertes de splendides mosaïques. On ne sait malheureusement rien de l'aile Sud.

Mise en valeur du site

Conjointement à l'énorme travail de conservation et de protection des vestiges - notamment des remarquables mosaïques - l'ensemble du site de la villa de Plassac a été restauré et mis en valeur sur décision du Conseil Général du Département de la Gironde, pour en assurer la sauvegarde et l'accès aux visiteurs.
Un musée, géré par l'association des Amis du Vieux Plassac, où a été déposé le mobilier archéologique découvert, est également accessible juste à côté du site.

Infos pratiques

Public touristique : D'avril à septembre 

- avril et septembre : 10 h à 12 h 30 - 14 h à 17 h 30 tous les jours (sauf dimanche matin)
- mai, juin, juillet, août : 10 h à 12 h 30 - 14 h à 18 h 30 tous les jours

Le reste de l'année sur réservation auprès du musée des Amis du Vieux Plassac : 0557428480. Dernière visite 3/4 d'heure avant la fermeture.

Public scolaire et prioritaire : Toute l'année sur réservation. Les prestations proposées par le Département sont à titre gratuit pour le public scolaire et prioritaire. Renseignements, aide aux projets, inscription.


Résumé rédigé sur base du texte du site du Département de la Gironde :

jeudi 1 mars 2018

Extraits de quelques auteurs de l'Antiquité (3)


Quelques générations après Vitruve, Columelle expose à son tour comment concevoir une villa. Son propos est beaucoup plus étoffé et nourri de considérations qui révèlent une connaissance plus directe et concrète du sujet. Nous en reproduisons ici quatre extraits.

A. Les bâtiments et leur agencement
(Columelle, De l'agriculture, I, vi, 1-6, 9-10 et 19 partim : texte établi par H.B. Ash, Londres-Cambridge, 1941 et trad. nouvelle à partir de L. Du Bois, Paris, 1844 et M. Nisard, Paris, 1856)

[1] La taille de la villa et le nombre de ses parties seront adaptés à l'étendue de la propriété et on divisera les constructions en trois groupes : l'habitation du maître, les bâtiments rustiques et ceux à provisions.
L'habitation du maître se répartira en appartements d'hiver et en appartements d'été, de telle sorte que les chambres à coucher pour l'hiver regardent le lever du soleil au solstice d’hiver (sud-est), et les salles à manger le couchant équinoxial (plein ouest). [2] À leur tour, les chambres à coucher pour l’été feront face au midi équinoxial (plein sud), et les salles  à manger pour la même saison, à l'orient d'hiver (sud-est). Les bains seront tournés vers le couchant d’été (nord-ouest), afin qu'ils soient éclairés par le soleil de l'après-midi, et jusqu'au soir. Les galeries pour la promenade seront exposées au midi équinoxial, afin qu'elles reçoivent le plus de soleil en hiver et le moins durant l'été.

[3] Dans la partie rustique, on installera une grande et haute cuisine, afin que la charpente ne soit pas exposée au risque d'incendie et qu’à tout moment de l’année les esclaves puissent s'y tenir commodément. Les chambres des esclaves qui ne sont point enchaînés seront idéalement tournées vers le midi équinoxial ; pour ceux qui sont enchaînés, il faut une prison souterraine, la plus salubre possible et éclairée par d’étroites fenêtres, situées à une hauteur telle qu’on ne puisse les atteindre avec la main.

[4] Pour les bestiaux, on fera des étables qui n’auront rien à redouter ni du froid ni de la chaleur. Pour les bêtes de travail, qu’il y ait de doubles étables, les unes pour l'hiver, les autres pour l'été. Pour les autres bestiaux qu'il faut tenir à l'intérieur de la ferme, on installera de hauts enclos, les uns sous toit, les autres à ciel ouvert afin que, placés dans les premiers pendant l'hiver, dans les seconds durant l'été, ils puissent se reposer à l'abri des attaques des bêtes sauvages. [5] Les étables seront spacieuses et arrangées de manière qu'il n'y puisse filtrer aucune humidité et que celle qui s'y serait formée, s'en écoule le plus promptement possible et ne pourrisse ni la base des  murs ni la corne des pieds des animaux. [6] Les bouveries devront être larges de dix pieds ou de neuf au moins : ces dimensions donnent toute latitude au bœuf pour s’étendre, et au bouvier pour circuler autour de l'animal. Il ne faudra pas que les mangeoires soient placées trop haut pour que le bœuf ou le cheval puisse atteindre sans difficulté sa nourriture, en étant debout.

[9] Les bâtiments à provisions se divisent quant à eux en huilerie, pressoir, cellier à vin, pièce à cuire le moût, fenils, paillers, magasins et greniers. Dans cet ensemble, les pièces de plain-pied serviront à entreposer les liquides, comme le vin et l'huile destinés à la vente, tandis qu’on stockera dans les étages planchéiés les productions sèches, comme les blés, le foin, les feuilles, les pailles et tous les autres fourrages. [10] Mais que les greniers, comme je l’ai dit, soient accessibles par des escaliers et qu’ils soient aérés par de petites fenêtres au nord. Car ce point du ciel est le plus froid et le moins humide, double avantage qui assure à la récolte une fois serrée, une longue  conservation.

[19] Le fumoir, dans lequel le bois, s'il n'est pas coupé depuis longtemps, doit être promptement séché, peut être établi dans la partie rustique de la ferme, jouxtant les bains des ouvriers. De tels bains sont en effet nécessaires, où les esclaves puissent se laver, mais seulement les jours de fête ; en effet, leur fréquent usage n’est pas indiqué pour maintenir une bonne forme physique.

B. Où loger le vilicus, le procurator1, les domestiques attachés aux troupeaux ?
(Columelle, De l'agriculture, I, vi, 7-8)

[7] À côté de la porte, on établira l'habitation du régisseur, afin qu'il puisse voir tous ceux qui entrent et qui sortent. Pour le même motif, le procurateur aura son logement au-dessus de la porte et ce voisinage lui fournira en outre les moyens de surveiller le régisseur. À proximité de l'un et de l'autre devra se trouver un hangar à rangement pour tout le matériel agricole ; à l'intérieur du hangar même, il y aura un local fermé pour y garder les outils en fer. [8] Les chambres des bouviers et des bergers seront placées à côtés des bêtes confiées à leur responsabilité, afin qu’ils puissent courir les soigner aux moments opportuns. Tous ces domestiques doivent, au surplus, habiter le plus près possible les uns des autres, afin de ne pas éreinter la diligence du régisseur quand il fait son tour et pour que chacun soit témoin du zèle ou de la négligence de ses camarades.

1) Le procurator, de condition libre, était l’administrateur financier de la villa. Il agissait en toute indépendance et gérait souvent les comptes de plusieurs exploitations à la fois, n’étant responsable que vis-à-vis des propriétaires.

C. La construction de la pars urbana de la villa
Columelle, De l'agriculture, I, iv, 8)

En outre, le père de famille doit être logé aussi bien que possible en fonction de ses moyens, afin qu'il se rende plus volontiers à sa campagne et qu'il y séjourne avec plus de plaisir. Mais surtout, si en plus sa femme l’accompagne, puisque son esprit, comme son sexe, a plus de délicatesse, il faudra la séduire par quelque agrément de la demeure, afin qu’elle y reste plus patiemment avec son mari. Que l’agriculteur bâtisse donc avec élégance, sans toutefois verser dans la manie des constructions, et qu’il lotisse une étendue telle, comme dit Caton, « que la ferme n'en cherche pas le terrain, ni le terrain la ferme. »

D. Les jardins et vergers
(Columelle, De l'agriculture, I, VI, 24)

Les vergers et les jardins doivent être clôturés et situés près de la villa, à l’endroit où peuvent s’écouler les eaux d’égout venant de la cour et des bains, ainsi que le marc liquide issu de la pression des olives. Car et les légumes et les arbres prospèrent aussi en se nourrissant de ces substances.


A suivre...