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Même si l'Antiquité romaine fut une période rude et souvent implacable pour beaucoup d'êtres humains, nous ne pouvons nier que dans de nombreux domaines la civilisation romaine fut innovante et même fascinante. Si Rome a conquis nos terres à la force du glaive pour imposer ensuite son pouvoir sous la férule des légions et de son administration centralisée, elle nous a aussi légué sa culture et, pour ce qui nous intéresse dans ce blog, son savoir-faire en matière d'urbanisme, d'architecture et de construction. C'est précisément ce domaine des habitations romaines typiques des campagnes, les villae, que je vous invite à découvrir ensemble.

lundi 7 décembre 2020

Sur les traces de la louve capitoline

Louve capitoline, dom. public
La numismatique au secours de l'Histoire

Si vous avez eu l'occasion de visiter le Musée du Capitole à Rome, vous aurez certainement pu admirer le groupe statuaire formé de la Louve romaine allaitant les jumeaux Romulus et Rémus.

La louve en bronze, de 75 cm de haut sur 114 cm de long, a été façonnée selon la technique de « la cire perdue ».

Alors que la statue était depuis toujours supposée être d'origine étrusque, ou même grecque, datant du Ve siècle av. J.-C., des analyses au carbone 14 et avec la thermoluminescence, effectuées en 2006 par l'Université de Salento en Italie, ont révélé qu'il s'agirait d'une œuvre réalisée au XIIIe siècle de notre ère.

La statue aurait servi de fontaine au Moyen Age. Elle fut ensuite offerte à la ville de Rome par le pape Sixte IV en 1471. Elle fut alors déposée dans l'église Saint-Théodore-au-Palatin, avant d'être placée sur la façade du Capitole, puis transférée à l'intérieur au milieu du XVIe siècle.

Quant aux statues des enfants Romulus et Rémus, elles auraient été sculptées par l'artiste Florentin Antonio Pollaiuolo et rajoutées à l'animal au XVe siècle. Le groupe statuaire aurait finalement rejoint le palais des Conservateurs, qui fait partie du Musée du Capitole, après 18761.

Cependant, la controverse sur sa datation persiste encore et l'unanimité des scientifiques et historiens sur son origine n'est toujours pas acquise à ce jour.

Comme chacun sait, cette statue est un symbole très important pour l'Urbs2, puisqu'elle illustre un épisode célèbre de la fondation légendaire de la Ville rapporté par plusieurs auteurs antiques.3

Pour rappel :

« Romulus et son frère jumeau Rémus sont les fils de la vestale Rhéa Silvia et du dieu Mars. Rhéa Silvia est la fille de Numitor, roi de la légendaire ville latine d'Albe la Longue (fondée par Ascagne, fils d'Énée) et dépossédé du trône par son frère Amulius. Celui-ci, craignant que ses petits-neveux ne réclament leur dû en grandissant, prend prétexte qu'ils sont les fils d'une vestale, qui avait fait vœu de chasteté, et ordonne qu'on les jette dans le Tibre.

Mais l'ordre est mal exécuté, les nouveau-nés sont abandonnés dans un panier sur le fleuve, survivent (par la probable protection des dieux), et sont découverts sous un figuier sauvage (le Ficus Ruminalis) situé devant l'entrée de la grotte du Lupercale, au pied du Palatin, par une louve qui les allaita et par un pivert, l'oiseau de Mars.

Tite-Live et Plutarque rapportent une autre explication de la légende : les jumeaux auraient été découverts dans la grotte du Lupercale, par le berger Faustulus, gardien des troupeaux d'Amulius. Celui-ci les aurait confiés aux bons soins de sa femme Larentia, une prostituée que les bergers surnommaient Lupa, « la Louve ». Ce serait donc par un jeu symbolique que d'autres auteurs latins auraient créé le mythe de la louve biologique mère de Rémus et Romulus, tirant parti de la puissance redoutable de l'animal au profit de leur cité.

Plus tard, les jumeaux, à qui est révélé le secret de leur naissance, tueront Amulius (égorgé par Rémus selon certains, transpercé par l'épée de Romulus selon d'autres) et restaureront leur grand-père Numitor sur le trône d'Albi.

Les jumeaux décident alors de fonder une ville et choisissent pour emplacement « l'endroit où ils avaient été abandonnés et où ils avaient passé leur enfance ». Selon Tite-Live, c'est le droit de nommer la ville et donc celui de la gouverner qui serait à l'origine du conflit fratricide. L'Urbs (la Ville) est fondée le 21 avril 753 avant J.-C. (début du calendrier romain)

Pour se départager, les jumeaux consultent les augures. Romulus se place sur le Mont Palatin, Rémus sur l'Aventin. Rémus a le premier aperçu six vautours, mais Romulus a fini par en observer douze. Pour Plutarque, Rémus en a effectivement vu six, mais Romulus a menti : si douze vautours finissent par lui apparaître, c'est après le terme du décompte. En apprenant qu'il a été grugé, Rémus se rebelle. C'est à cause de cet événement que les Romains consultent principalement les vautours quand ils prennent les augures. »4

Dans l'Antiquité, plusieurs auteurs mentionnent déjà la statue d'une louve accompagnée des Jumeaux. D'après leurs récits, il devait y avoir au moins deux groupes statuaires composés d'une louve et de deux Jumeaux.

L'historien romain Tite-Live (-59 à 17) nous parle d'un groupe statuaire façonné à l'initiative des deux frères Ogulnii, qui étaient édiles curules, en 296 av. J.-C. Selon l'auteur, ces statues se trouvaient près du figuier Ruminal. Mais il semblerait que Tite-Live parlait d'un figuier se trouvant sur le forum et non de celui qui était planté près de la grotte Lupercal.

« (11) La même année, Cneius et Quintus Ogulnius, édiles curules, assignèrent quelques usuriers; (12) leurs biens furent confisqués, et, avec ce qui revint au trésor, les édiles curules firent placer des portes de bronze au Capitole, des vases d'argent, de quoi garnir trois tables, dans la nef de Jupiter, une statue de Jupiter avec son quadrige sur le faîte du temple et, près du figuier Ruminal, des images des enfants fondateurs de Rome sous les mamelles de la louve; ils pavèrent aussi, en pierres carrées, un trottoir, de la porte Capène au temple de Mars. » (Tite-Live, Histoire romaine, livre X, chap. 23, 11-12. Trad. Philippe Remacle, Paris, 1996).

Ce que Pline l'Ancien (23 à 79) confirme :

« [4] Dans le forum même, et au milieu des comices, on cultive un figuier, en mémoire d'une consécration faite pour la foudre qui tomba en ce lieu, ou plutôt en mémoire d'un autre figuier qui abrita [sur les bords du Tibre] Romulus et Rémus, nos fondateurs, et qu'on nomma ruminal parce que, sous son feuillage, fut trouvée la louve donnant aux enfants sa mamelle, en vieux latin rumen : un groupe en bronze représentant cette merveille a été consacré par l'augure Attus Navius dans le forum, comme si le figuier ruminal y avait passé spontanément [des bords du Tibre ]. Là cet arbre se dessèche, mais les prêtres ont soin, de le renouveler. » (Pline l'Ancien, Histoire naturelle, livre XV, chap. 20. Trad. Dubochet, Paris, 1848-1850, Ed. Emile Littré).

Une autre statue aurait été aperçue par Denys d'Halicarnasse (-60 à -8) près de la grotte Lupercal, restaurée par l'empereur Auguste, vers la fin du 1er siècle av. J.-C.

« 8. Alors il y avait non loin de là un endroit sacré, recouvert d’un bois épais, et d'une roche creuse de laquelle jaillissaient des sources; on disait que ce bois était consacré à Pan, et il y avait là un autel de ce dieu. C’est à cet endroit que la louve vint se cacher. Ce bois n’existe plus, mais la caverne où coulent les sources est encore présente, construite sur le côté du Palatin sur la route qui mène au cirque, et tout près il y a une enceinte sacrée dans laquelle se trouve une statue commémorant l’événement; elle représente une louve allaitant deux enfants en bas âge, les figures sont en bronze et d’exécution ancienne. On dit que cette endroit est un sanctuaire des Arcadiens qui autrefois y habitèrent avec Evandre. » (Denys d'Halicarnasse, Antiquités romaines, livre I, chap. LXXIX, 8. Trad. Philippe Remacle)

Or, c'est précisément en ce lieu, situé sous le Palatin, que se trouvait la grotte Lupercal et le figuier Ruminal ; à l'endroit même où, selon le mythe, le chef des bergers royaux Faustulus découvrit les deux Jumeaux recueillis par la louve.

Il est difficile de dire si cette statue datait de la restauration de la grotte par Auguste ou s'il s'agissait d'une œuvre plus ancienne comme le suggérait Denys d'Halicarnasse.

Quoi qu'il en soit, la louve des frère Ogulnii, qui se trouvait sur le forum, ne fut pas anéantie par la foudre tombée en 65 av. J.-C., et on peut supposer qu'elle subsista encore un certain temps.

Cet évènement est mentionné par Dion Cassius (155 à ap. 235) dans son livre « Histoire romaine » et par Cicéron (-106 à -43) dans sa troisième Catilinaire rédigée en l'an 63 av. J.-C.

« 9. Ces fêtes et ces jeux comblaient les Romains de joie ; mais divers prodiges les remplirent de terreur. Au Capitole, plusieurs statues humaines et plusieurs statues des dieux, entre autres celle de Jupiter, qui était placée sur une colonne, furent fondues par le feu de la foudre ; une image de la louve allaitant Romulus et Rémus, fut renversée de son piédestal ; les lettres gravées sur les colonnes qui portaient le texte des lois, furent confondues et obscurcies. Tous les sacrifices expiatoires prescrits par les devins, furent célébrés, et l'on décréta qu'il serait érigé en l'honneur de Jupiter une statue plus grande, ayant la face tournée du côté de l'orient et du Forum, afin d'obtenir la découverte des conspirations qui troublaient Rome. » (Dion Cassius, Histoire romaine, livre XXXVII, 9. Trad. E. Gros).

« Vous vous souvenez sans doute que, sous le consulat de Cotta et de Torquatus, plusieurs points élevés du Capitole furent atteints de la foudre : elle déplaça les images des dieux, renversa les statues des antiques héros, fondit les tables d'airain dépositaires de nos lois ; elle n'épargna pas même le fondateur de cette ville, Romulus, dont vous savez qu'une statue dorée, placée dans le Capitole, représentait l'image sous les traits d'un enfant nouveau-né, ouvrant la bouche pour presser les mamelles d'une louve. » (Cicéron, 3e catilinaire, chap. 8)5

Pour certains historiens6, ce serait cette louve, ou une autre aussi ancienne, (sans les Jumeaux) qui se trouverait actuellement exposée au Musée du Capitole. Bien que tombée de son piédestal, celle du forum n'aurait pas été détruite par la foudre.

Mais, en dépit des arguments avancés par les partisans de cette hypothèse, la louve capitoline exposée aujourd'hui est tout de même fort différente des représentations antiques que nous en avons.

En effet, par chance, nous disposons de nombreuses représentations de cette louve antique. Elle figure aussi bien sur des bas-reliefs que sur le revers de nombreuses monnaies datées de la République au Bas-Empire. Or, toutes les images qui nous sont parvenues de cette louve depuis l'Antiquité montrent l'animal, les pattes avant étendues pour permettre l'allaitement des nourrissons. Sa tête à gauche, ou parfois à droite, est tournée vers l'arrière comme pour veiller sur les Jumeaux, ou parfois aussi pour les lécher.

Il paraît donc peu probable que la louve exposée au Capitole soit de facture antique. Ainsi, l'examen scientifique de 2006 ne fait que corroborer un fait historique déjà étayé par la numismatique. Il n'en reste pas moins qu'il s'agit là d'une œuvre d'art remarquable, témoin du mythe fondateur de la Ville.

Quelques représentations sur les monnaies :


Didrachme Quadrigatus, vers 264-255 av. J.-C., Rome

A/ Tête diadémée d'Hercule à droite portant une peau de lion autour du cou, massue sur l'épaule.

R/ Louve debout à droite, tête tournée à l'arrière, allaitant les jumeaux Romulus et Rémus. ROMANO à l'exergue.

Réf. : Crawford 20/1; Sydenham 6; BMCRR romano-campanien 28-30; Kestner 38-9; RBW 23; RSC 8.

Source : CNG (Classical Numismatic Groupe, LLC)



Antoninien de Philippe l'Arabe, Rome, 248

A/ IMP PHILIPPVS AVG Buste radié, drapé et cuirassé de Philippe I à droite, vu de trois quarts.

R/ SAECVLARES/ -/-//II La louve à gauche, allaitant Romulus et Rémus

Réf. : RIC. 15

Source : Cgb.fr (Numismatique Paris)



Nummus (AE) commémoratif de la ville de Rome frappé sous Constantin I à Antioche, 330-335 ap. J.-C.

A/ VRBS ROMA. Buste caqué de Roma à gauche, portant un manteau impérial.

R/ Louve debout à gauche, tête tournée vers l'arrière, allaitant Romulus et Remus. Deux étoiles au-dessus, SMANΘ à l'exergue.

Réf. : RIC. 91, 1,56 gr. Ø 17 mm.

Source : Roma Numismatics Ltd

Notes et références:

1° Source Wikipédia

2° La Ville (de Rome) en latin

3° Notamment Tite-Live dans Histoire romaine et Plutarque dans La vie de Romulus

https://www.histophile.com/dictionnaire/romulus-et-remus 

https://mediterranees.net/index.html

6° De Brosses et Winckelmann défendaient déjà cette idée au XVIIIe siècle (Jérôme Carcopino, La louve du Capitole (II), Bulletin de l'Association Guillaume Budé, n°5, octobre 1924, p. 34).

(Article publié en octobre 2020 dans le bulletin du Cercle numismatique de Val de Salm)

Ph. Laval