Présentation

Même si l'Antiquité romaine fut une période rude et souvent implacable pour beaucoup d'êtres humains, nous ne pouvons nier que dans de nombreux domaines la civilisation romaine fut innovante et même fascinante. Si Rome a conquis nos terres à la force du glaive pour imposer ensuite son pouvoir sous la férule des légions et de son administration centralisée, elle nous a aussi légué sa culture et, pour ce qui nous intéresse dans ce blog, son savoir-faire en matière d'urbanisme, d'architecture et de construction. C'est précisément ce domaine des habitations romaines typiques des campagnes, les villae, que je vous invite à découvrir ensemble.

jeudi 5 décembre 2019

La villa gallo-romaine du Palat à Saint-Emilion

SEPTEMBRE/OCTOBRE 2019

Certains aiment la dire d’Ausone. C’est le cas depuis le XVIe siècle où le château qui surplombait le site prit le nom du poète. Serait-ce donc le fameux Lucaniacum près de Condate ? D’autres le nient vigoureusement. La vérité est certainement dans un doute raisonnable.

Pour autant, dans la vallée du ruisseau de Fongaban, au pied de la falaise de Saint-Émilion, se trouvait aux IVe et Ve siècles de notre ère, la riche demeure d’un notable. La tradition ne s’y trompe pas : depuis le XIIIe siècle, on évoque le Palat. Ce nom, original pour un moulin, est celui du lieu-dit et le palais qu’il désigne est cette villa.


Fig. 1 La villa du Palat, restitution par Jean-Claude Golvin


Bien que Jouannet évoque dès 1820 différents éléments gallo-romains à Saint-Émilion, le site archéologique du Palat n’est guère connu que depuis 1936 et la synthèse proposée par Ch. Ouy-Vernazobres. Mais en 1969, à la faveur de travaux, le comte Léo de Malet le redécouvrit. Marc Gauthier (DAHA[1]) y mena des fouilles jusqu’en 1971, puis Catherine Balmelle (CNRS) de 1981 à 1988 ; en 1991, une prospection au géoradar compléta les données. Depuis 2013, Catherine Petit-Aupert (Université Bordeaux-Montaigne) a mené de patientes prospections au sol, comme dans une bonne partie de Saint-Émilion et des communes alentour, replaçant les vestiges dans leur environnement archéologique. Sous sa direction, Sylvie Soulas a repris l’étude du mobilier recueilli lors des fouilles. En 2014, Xavier Charpentier (SRA) a mené des sondages pour vérifier la bonne conservation des vestiges. En 2017, avant la plantation d’une vigne à l’est, un diagnostic préventif a été réalisé, sur demande volontaire de la SCI La Gaffelière et prescription du SRA, par Christine Etrich (INRAP). Enfin en 2018, un peu à l’ouest, les découvertes faites lors de la réalisation d’un drain ont entraîné des relevés et des prospections géophysiques. Approches multiples et multiples acteurs qui n’épuisent nullement le potentiel de ce site remarquable, mais contribuent tous à sa connaissance.

Ce n’est pas un hasard si les actions se sont multipliées ces dernières années. L’« Association pour la sauvegarde de la villa gallo-romaine du Palat à Saint-Émilion » avait été créée dès 1987, ayant pour objectifs la sauvegarde et la mise en valeur du site. Elle a repris vie en 2013, à l’initiative de Bérangère de Malet-Petges, avec les mêmes buts, sous le nom de « Cépages et tesselles, la villa gallo-romaine du Palat à Saint-Émilion », et s’est dotée d’un comité scientifique.


Fig. 2 Plan de la villa (C. Balmelle, Les demeures aristocratiques d'Aquitaine, Ausonius/Aquitania, 2001, p. 452)


Le site est niché au creux d’un vallon, au débouché du ruisseau de Fongaban sur la plaine alluviale de la Dordogne, dans une topologie peu fréquente. À la base de la séquence archéologique, des traces ténues du second âge du fer ont été observées dans les vases déposées au fond du lit originel du ruisseau. Ce terrain humide a été assaini par un remblai de blocs calcaires irréguliers avant une première installation antique encore mal cernée. Si le site est occupé jusqu’au VIIIe ou IXe siècle et n’est réinvesti qu’au XIIIe siècle, l’essentiel des vestiges connus appartiennent à la partie résidentielle d’une villa de l’antiquité́ tardive et correspondent à sa façade d’apparat (fig. 1).


Fig. 3 Le bassin aux poissons


Un jardin d’agrément et un grand bassin ornemental, de soixante mètres de long sur sept de large, précèdent une galerie péristyle qui s’étend sur quatre-vingt-dix mètres (fig. 2). En son centre, elle donne accès à une vaste salle de réception, qui possède un bassin alimenté par des canalisations en plomb. Y dansent, sous un jet d’eau, les poissons bleus de la mosaïque (fig. 3). De part et d’autre de cette salle se trouvent différentes installations domestiques et en particulier, au sud, une pièce à deux alcôves symétriques, où l’on verrait bien la chambre du maître de maison. Sur le sol mosaïqué, s’épanouissent des rinceaux de vigne qui jaillissent d’un cratère (fig. 4). On imagine volontiers une évocation de l’origine de la fortune du propriétaire ; mais l’actualité de ces connotations ne peut qu’appeler à la prudence.

Ce plan est original en Aquitaine. D’une part, il s’échelonne sur plusieurs niveaux en bas de la pente du coteau. D’autre part, il s’organise de façon axiale et symétrique, avec une galerie de façade et des ailes en retour, apparemment assez courtes. Ce n’est que dans les vallées du Rhin et de la Moselle qu’on en trouve quelques bons parallèles.


Fig. 4 Mosaïque de la chambre aux deux alcôves, avec des pampres de vigne stylisés


Des fragments de marbres, de peintures, de stucs recueillis en fouille, un chapiteau heureusement épargné (fig. 5) révèlent que la villa eut une riche décoration intérieure. Mais les exceptionnelles abondance et qualité des décors mosaïqués en sont le meilleur témoin : pas moins de 210 m² en sont conservés. Ils sont homogènes, solidaires des maçonneries, en bonne correspondance avec un mobilier qui reste cependant assez rare. L’ensemble est, en conséquence, estimé de la fin du IVe ou du Ve siècle.

Lors de la première campagne de fouilles, deux mosaïques ont été déposées et restaurées. L’une d’elles se trouve dans le salon de dégustation du château La Gaffelière. L’autre est trop grande et n’a trouvé logement que dans un garage – pour le moment…

Auprès d’un autre moulin de la même vallée du Fongaban et de l’église mal connue de Saint-Georges – où l’on aurait observé des sarcophages du haut Moyen Âge –, 100 à 150 mètres à l’est du Palat, des découvertes faites à la fin du XIXe siècle, synthétisées dans les années 1930, sont par hypothèse mises en relation avec cette résidence. On aimerait y voir les installations rurales du domaine ; s’y trouveraient, en particulier, deux bassins à cupule, carrelés de terre cuite, d’un type que l’on relie ordinairement aux installations vinicoles. Mais, à défaut d’une enquête récente sur les lieux, on manque de certitude sur les observations elles-mêmes et, pire encore, on ne dispose d’aucun élément de chronologie. Des structures du même genre ont été observées en plusieurs endroits, par exemple, non loin au bourg de Sainte-Colombe.


Fig. 5 Chapiteau retrouvé en fouille


Dans le contexte saint-émilionnais, de tels vestiges techniques sont particulièrement parlants. Mais sont plus évocateurs encore, par leur esthétique et par l’opulence de leur environnement, les pampres enroulés de la mosaïque. C’est la vie dans l’Antiquité, et singulièrement dans cette belle villa dont la richesse pourrait être d’origine viticole, que voudrait mettre en évidence « Cépages et tesselles ».

Le site vient d’être inscrit sur la liste complémentaire des Monuments historiques. L’élaboration d’un projet de valorisation avance pas à pas. Le site internet www.villadupalat.com en fournit un reflet fidèle. Il fait aussi le récit de la découverte, donne de nombreuses images des fouilles, présente l’association et propose d’y adhérer.

Cépages et tesselles organise le samedi 14 septembre 2019 un événement exceptionnel à la salle des Dominicains de Saint-Émilion : à 14 h 30, l’association ouvrira son assemblée générale annuelle à tous ceux qui seraient intéressés par son projet ; à 16 h 30 les membres du comité scientifique feront une conférence à plusieurs voix ; suivra vers 17 h 30 la projection d’un film consacré à la villa et à sa valorisation ; enfin vers 18 h sera présentée la cuvée Le Palat, dégustation-vente dont les bénéfices alimenteront les ressources de l’association.

Venez découvrir ce passé de Saint-Émilion, plus ancien mais moins connu que d’autres.

Pierre Régaldo-Saint Blancard
Président de la Société archéologique de Bordeaux

[1]. DAHA : Direction des Antiquités historiques d’Aquitaine, devient le SRA : Servie régional de l’Archéologie ; CNRS : Centre national de la recherche scientifique ; INRAP : Institut national de recherches archéologiques préventives.