SEPTEMBRE/OCTOBRE
2019
Certains
aiment la dire d’Ausone. C’est le cas depuis le XVIe siècle
où le château qui surplombait le site prit le nom du poète.
Serait-ce donc le fameux Lucaniacum près
de Condate ?
D’autres le nient vigoureusement. La vérité est certainement dans
un doute raisonnable.
Pour
autant, dans la vallée du ruisseau de Fongaban, au pied de la
falaise de Saint-Émilion, se trouvait aux IVe et Ve siècles
de notre ère, la riche demeure d’un notable. La tradition ne s’y
trompe pas : depuis le XIIIe siècle, on évoque le Palat.
Ce nom, original pour un moulin, est celui du lieu-dit et le palais
qu’il désigne est cette villa.
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Fig. 1 La villa du Palat, restitution par Jean-Claude Golvin |
Bien
que Jouannet évoque dès 1820 différents éléments gallo-romains à
Saint-Émilion, le site archéologique du Palat n’est guère connu
que depuis 1936 et la synthèse proposée par Ch. Ouy-Vernazobres.
Mais en 1969, à la faveur de travaux, le comte Léo de Malet le
redécouvrit. Marc Gauthier (DAHA[1]) y mena des fouilles jusqu’en
1971, puis Catherine Balmelle (CNRS) de 1981 à 1988 ; en 1991, une
prospection au géoradar compléta les données. Depuis 2013,
Catherine Petit-Aupert (Université Bordeaux-Montaigne) a mené de
patientes prospections au sol, comme dans une bonne partie de
Saint-Émilion et des communes alentour, replaçant les vestiges dans
leur environnement archéologique. Sous sa direction, Sylvie Soulas a
repris l’étude du mobilier recueilli lors des fouilles. En 2014,
Xavier Charpentier (SRA) a mené des sondages pour vérifier la bonne
conservation des vestiges. En 2017, avant la plantation d’une vigne
à l’est, un diagnostic préventif a été réalisé, sur demande
volontaire de la SCI La Gaffelière et prescription du SRA, par
Christine Etrich (INRAP). Enfin en 2018, un peu à l’ouest, les
découvertes faites lors de la réalisation d’un drain ont entraîné
des relevés et des prospections géophysiques. Approches multiples
et multiples acteurs qui n’épuisent nullement le potentiel de ce
site remarquable, mais contribuent tous à sa connaissance.
Ce
n’est pas un hasard si les actions se sont multipliées ces
dernières années. L’« Association pour la sauvegarde de la
villa gallo-romaine du Palat à Saint-Émilion » avait été
créée dès 1987, ayant pour objectifs la sauvegarde et la mise en
valeur du site. Elle a repris vie en 2013, à l’initiative de
Bérangère de Malet-Petges, avec les mêmes buts, sous le nom de
« Cépages et tesselles, la villa gallo-romaine du Palat à
Saint-Émilion », et s’est dotée d’un comité
scientifique.
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Fig. 2 Plan de la villa (C. Balmelle, Les demeures aristocratiques d'Aquitaine, Ausonius/Aquitania, 2001, p. 452) |
Le
site est niché au creux d’un vallon, au débouché du ruisseau de
Fongaban sur la plaine alluviale de la Dordogne, dans une topologie
peu fréquente. À la base de la séquence archéologique, des traces
ténues du second âge du fer ont été observées dans les vases
déposées au fond du lit originel du ruisseau. Ce terrain humide a
été assaini par un remblai de blocs calcaires irréguliers avant
une première installation antique encore mal cernée. Si le site est
occupé jusqu’au VIIIe ou
IXe siècle et n’est réinvesti qu’au XIIIe siècle,
l’essentiel des vestiges connus appartiennent à la partie
résidentielle d’une villa de
l’antiquité́ tardive et correspondent à sa façade d’apparat
(fig. 1).
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Fig. 3 Le bassin aux poissons |
Un
jardin d’agrément et un grand bassin ornemental, de soixante
mètres de long sur sept de large, précèdent une galerie péristyle
qui s’étend sur quatre-vingt-dix mètres (fig. 2). En son centre,
elle donne accès à une vaste salle de réception, qui possède un
bassin alimenté par des canalisations en plomb. Y dansent, sous un
jet d’eau, les poissons bleus de la mosaïque (fig. 3). De part et
d’autre de cette salle se trouvent différentes installations
domestiques et en particulier, au sud, une pièce à deux alcôves
symétriques, où l’on verrait bien la chambre du maître de
maison. Sur le sol mosaïqué, s’épanouissent des rinceaux de
vigne qui jaillissent d’un cratère (fig. 4). On imagine volontiers
une évocation de l’origine de la fortune du propriétaire ;
mais l’actualité de ces connotations ne peut qu’appeler à la
prudence.
Ce
plan est original en Aquitaine. D’une part, il s’échelonne sur
plusieurs niveaux en bas de la pente du coteau. D’autre part, il
s’organise de façon axiale et symétrique, avec une galerie de
façade et des ailes en retour, apparemment assez courtes. Ce n’est
que dans les vallées du Rhin et de la Moselle qu’on en trouve
quelques bons parallèles.
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Fig. 4 Mosaïque de la chambre aux deux alcôves, avec des pampres de vigne stylisés |
Des
fragments de marbres, de peintures, de stucs recueillis en fouille,
un chapiteau heureusement épargné (fig. 5) révèlent que
la villa eut
une riche décoration intérieure. Mais les exceptionnelles abondance
et qualité des décors mosaïqués en sont le meilleur témoin :
pas moins de 210 m² en sont conservés. Ils sont homogènes,
solidaires des maçonneries, en bonne correspondance avec un mobilier
qui reste cependant assez rare. L’ensemble est, en conséquence,
estimé de la fin du IVe ou du Ve siècle.
Lors
de la première campagne de fouilles, deux mosaïques ont été
déposées et restaurées. L’une d’elles se trouve dans le salon
de dégustation du château La Gaffelière. L’autre est trop grande
et n’a trouvé logement que dans un garage – pour le moment…
Auprès
d’un autre moulin de la même vallée du Fongaban et de l’église
mal connue de Saint-Georges – où l’on aurait observé des
sarcophages du haut Moyen Âge –, 100 à 150 mètres à l’est du
Palat, des découvertes faites à la fin du XIXe siècle,
synthétisées dans les années 1930, sont par hypothèse mises en
relation avec cette résidence. On aimerait y voir les installations
rurales du domaine ; s’y trouveraient, en particulier, deux
bassins à cupule, carrelés de terre cuite, d’un type que l’on
relie ordinairement aux installations vinicoles. Mais, à défaut
d’une enquête récente sur les lieux, on manque de certitude sur
les observations elles-mêmes et, pire encore, on ne dispose d’aucun
élément de chronologie. Des structures du même genre ont été
observées en plusieurs endroits, par exemple, non loin au bourg de
Sainte-Colombe.
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Fig. 5 Chapiteau retrouvé en fouille |
Dans
le contexte saint-émilionnais, de tels vestiges techniques sont
particulièrement parlants. Mais sont plus évocateurs encore, par
leur esthétique et par l’opulence de leur environnement, les
pampres enroulés de la mosaïque. C’est la vie dans l’Antiquité,
et singulièrement dans cette belle villa dont la richesse pourrait
être d’origine viticole, que voudrait mettre en évidence
« Cépages et tesselles ».
Le
site vient d’être inscrit sur la liste complémentaire des
Monuments historiques. L’élaboration d’un projet de valorisation
avance pas à pas. Le site internet www.villadupalat.com en fournit
un reflet fidèle. Il fait aussi le récit de la découverte, donne
de nombreuses images des fouilles, présente l’association et
propose d’y adhérer.
Cépages
et tesselles organise le samedi 14 septembre 2019 un événement
exceptionnel à la salle des Dominicains de Saint-Émilion : à
14 h 30, l’association ouvrira son assemblée générale annuelle à
tous ceux qui seraient intéressés par son projet ; à 16 h 30
les membres du comité scientifique feront une conférence à
plusieurs voix ; suivra vers 17 h 30 la projection d’un film
consacré à la villa et à sa valorisation ; enfin vers 18 h
sera présentée la cuvée Le Palat, dégustation-vente dont les
bénéfices alimenteront les ressources de l’association.
Venez
découvrir ce passé de Saint-Émilion, plus ancien mais moins connu
que d’autres.
Pierre
Régaldo-Saint Blancard
Président
de la Société archéologique de Bordeaux
[1].
DAHA : Direction des Antiquités historiques d’Aquitaine,
devient le SRA : Servie régional de l’Archéologie ;
CNRS : Centre national de la recherche scientifique ;
INRAP : Institut national de recherches archéologiques
préventives.
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