Introduction
Dans
mon article du mois de mars 2024 dans Terre
de Durbuy
au sujet des villas gallo-romaines, j'avais précisé que certains
indices archéologiques découverts sur le territoire de la commune
de Durbuy laissaient supposer la présence de substructions enfuies
dans le sol d'un ou plusieurs établissements datant de l'époque
romaine (1).
Il
est évident que toutes ces villas, véritables centres de
productions agricoles et artisanales, étaient desservies par un
réseau de voies de communication permettant d'écouler leurs
marchandises vers les villes, les bourgades et les marchés.
Du
reste, une des caractéristiques bien connue de l'Empire romain était
son réseau routier très dense, bien organisé et largement
sécurisé. Il faudra d'ailleurs attendre l'avènement de notre
époque moderne pour retrouver un tel réseau routier d'envergure
internationale.
Dans
les provinces du nord de la Gaule, la mise en place de ce réseau
routier fut pratiquement concomitant avec l'apparition des villas
romaines. Dès que nos régions furent pacifiées après la Guerre
des Gaules, l'intention du vainqueur fut d'abord de coloniser nos
territoires par la mise en place d'un réseau routier performant
permettant à la fois le déplacement rapide des troupes militaires
ainsi que leur approvisionnement. C'est pourquoi la plupart des
chaussées romaines sont très souvent rectilignes, malgré un
dénivelé parfois important.
Voies
romaines en Belgique, auteur : Rjdeadly, le 23/06/2017 (source
Wikipedia)
Hiérarchie
des chaussées romaines
Avant
l'arrivée des Romains, la Gaule était déjà dotée d'un réseau de
voies de communication assez étoffé, ce qui facilita d'ailleurs la
conquête de César. Ainsi, la plupart de ces chemins furent intégrés
au nouveau réseau mis en place au début du 1er siècle de notre ère
par le gouverneur Agrippa, gendre de l'empereur Auguste, puis sous le
règne de Claude au milieu du 1er siècle.
-
Les Viae
publicae
(voies publiques) étaient les routes les plus importantes. Elles
reliaient les villes et cités entre-elles, et étaient construites
et entretenues par l'Etat. Ces chaussées portaient le nom de leur
constructeur illustre et certaines sont connues aujourd'hui sous le
nom de ''Chaussée Brunehaut''.
-
Tout aussi importantes étaient les Viae
militares
(voies militaires), qui étaient des routes stratégiques destinées
aux déplacements rapides des troupes. Elles étaient également du
ressort de l'Etat.
-
Viennent ensuite les voies vicinales reliant, comme leur nom
l'indique, les Vici
(bourgades
routières) aux voies principales.
Ces voies secondaires étaient le plus souvent construites et
entretenues par les édiles des cités (autorités locales).
-
Enfin, des chemins privés (Viae
privatae)
sillonnaient les campagnes en reliant les villas et les domaines
privés aux artères principales. Elles étaient construites et
entretenues par des propriétaires privés.
Ajoutons
que des bornes milliaires jalonnaient les chaussées importantes tous
les milles romains (1 478,50 m) pour informer le voyageur de la
distance à parcourir (2). Des relais installés à intervalles
réguliers lui permettaient aussi de trouver le gîte et le couvert
ainsi qu'un service d'entretien pour sa monture.
D'autre
part, les grands voyageurs de l'époque pouvaient acquérir une copie
d'une carte itinéraire mentionnant les différents points de relais,
les fleuves, les villes et les distances entre chaque étape.
La
''Table de Peutinger'' tracée au IIe ou IIIe siècle de notre ère,
et recopiée en 1265, était faite d'une bande de parchemin longue de
7 m sur 0,34 m de haut.
Un
second document appelé ''Itinéraire d'Antonin'' fut réalisé en
211-217 ou en 284-305. Il fut remanié au fur et à mesure de la
fondation des nouvelles villes (3).
Structure
& construction
Le
cliché des voies romaines entièrement pavées, comme on peut en
voir à Pompéi, est quelque peu exagéré. Certes, certains
tronçons, surtout à proximité des villes et des lieux de grandes
affluences, étaient pavés de grandes dalles de pierre. Mais
d'autres revêtements, non moins solides, étaient également
utilisés.
''Pour
l'immense majorité des quelque 34 000 km de voies antiques qui
sillonnent la Gaule, les chaussées sont recouvertes de gravier, de
terre battue ou d'un empierrement plus ou moins élaboré.''
(4)
Dans
la mesure du possible, la chaussée était construite sur un terrain
stable et de préférence sur une crète militaire pour éviter les
fonds de vallée humides. Une fois les mesures d'arpentage
effectuées, le terrain était déblayé jusqu'au sol vierge.
L'assise de la route comportait plusieurs couches de matériaux
(sable, argile et gravier) compactées, puis le revêtement était
fait de graviers, de cailloux ou de dalles de pierres.
La
chaussée, légèrement bombée en son centre pour favoriser
l'écoulement des eaux, mesurait entre 4 et 6 mètres de large. Deux
fossés latéraux complétaient l'ouvrage (voir photo ci-dessous).
Outre
la présence de gués sur les hauts fonds de rivières, le
franchissement des obstacles naturels nécessitait la construction de
ponts dont certains remarquablement bien conservés sont toujours
utilisés aujourd'hui !
D'autres
tronçons comportaient des ornières taillées à même la roche ou
dans le pavement afin d'éviter le glissement des chariots (5).
Les
Romains sont passés par ici !
Alors
que plusieurs voies romaines traversaient la Wallonie pour rejoindre
des villes comme Bavay, Reims, Cologne, Trèves, Metz ou Tongres,
deux tronçons attestés par l'archéologie ont été repérés sur
le territoire de la commue de Durbuy. Un troisième pourrait être
daté de la même époque.
Le
plus important est sans nul doute une section de la voie
Arlon-Tongres qui a laissé son empreinte bien visible dans un pré
au lieu dit Chêne
à Han.
Après
avoir franchi l'Ourthe à Grand-Han, la chaussée gagnait le vicus
de Vervoz pour franchir ensuite la Meuse à Ombret et rejoindre
Tongres.
Etonnamment,
ce chemin passant par Chêne
à Han
fut repris à l'Atlas des chemins vicinaux sous le numéro 19 (6),
alors qu'il ne figurait pas sur la carte plus ancienne de Ferraris
(7).
Vestige
de la voie romaine Tongres-Arlon à Chêne
à Han,
Durbuy. Photo : ©
Ph.
Laval
Un
autre chemin, qui devait être une voie privée, traverse le plateau
agricole de Wéris en passant à proximité des deux dolmens et des
menhirs récemment mis au jour dans le champ
Paquet.
Connu
aujourd'hui sous le nom de ''rue du Menhir'', ce chemin agricole se
nommait jadis Vieux
chemin des Romains (8)
et
il figurait à l'Atlas des chemins vicinaux sous le n°33. Il
est indiqué sur la copie de l'extrait de la carte de Ferraris par
deux flèches.
Un
troisième chemin très ancien est mentionné sur la carte de
Ferraris sous le nom Chemin
de la Vicomté du château de Durbuy à celui de Stavelot.
Cette ancienne voie qui passait par Warre et Tohogne se dirigeait
vers le château de Logne, puis la vicomté de Ferot, avant de
rejoindre Stavelot. Or, les nombreuses découvertes antiques mises au
jour le long de son tracé laisseraient supposer une origine
gallo-romaine, voire plus ancienne de cette voie (9).
©
Service
Public de Wallonie
-
Cartes de Ferraris (1770-1778), (2010-01-01)
Notes
1)
Ph. LAVAL, Villas
romaines d'ici et d'ailleurs,
in Terre de Durbuy,
n°167, mars 2024, p. 7.
2)
A côté du mille romain de 1 478,50 m, la lieue ''romanisée'' de 2
222 m était aussi utilisée.
3)
MERTENS J., 1986. Les
routes romaines de la Belgique.
in : Miscellancea
in honorem Josephi Remigii Mertens, Leuven, (Acta Archaeologica
Lovaniensia, 25),
IX.
4)
Gérard COULON, Les
voies romaines en Gaule, Promenades archéologiques, Editions
Errance,
avril 2009, p. 82.
5)
Ph. LAVAL, Section
à ornières sur la voie romaine ''Arlon-Tongres'', Vie
Archéologique, 52,
p. 27-28.
6)
L'Atlas
des Voiries Vicinales de 1841 est un plan de la voirie vicinale
établi par ancienne commune selon la loi belge du 10 avril 1841.
Cette dernière est maintenant abrogée par le décret relatif aux
voiries communales du 6 février 2014.
(Source : Géoportail de la Wallonie).
7)
La carte dite "de cabinet" a été dressée de 1770 à 1778
à l'initiative du Comte de Ferraris. Elle couvre les Pays-Bas
autrichiens ainsi que les principautés de Liège et de Stavelot,
c'est à dire la majeure partie de la Belgique actuelle et le
Grand-duché du Luxembourg.
(Source : Géoportail de la Wallonie).
8)
Michel
TOUSSAINT (dir.), 2003. Le
champ mégalithique de Wéris. Fouilles de 1979 à 2001.
Volume 1 Contexte archéologique et géologique. Etudes et documents
Archéologie, 9, p. 121.
9)
Damien FANON, 180
ans de découvertes gallo-romaines à Warre/Tohogne,
in Terre de Durbuy, n°171, mars 2025, p. 43.
Bibliographie
choisie
En
plus des ouvrages déjà cités,
Marie-Hélène
CORBIAU, Les
voies romaines par la Wallonie, la voie Metz-Tongres, in
Collection Vestiges,
SPW Editions, 2017
G.
THIOLLIER-ALEXANDROWICZ, Itinéraires
Romains en France, in
Archéologia,
Guide hors-série n°8 H, 1996.
Guy
FAIRON, La
chaussée romaine Metz-Arlon-Tongres, in
Les cahiers du groupe de recherches aériennes du sud belge
(a.s.b.l.), 6700
Arlon, 1993-1.
André
BAIJOT,
La Pax Romana, de Tongres à Arlon,
in catalogue de l'exposition du Musée de Wéris du 2 avril au 6
novembre 1994.
Si
le sujet vous intéresse, le roman Un
poète au palais
écrit par l'auteur de cet article sous son pseudonyme est disponible
au Musée des Mégalithes de Wéris. Le livre, dont le récit se
situe au cœur de l'Antiquité tardive, évoque notamment la réalité
du voyage en Gaule romaine.
(Article publié sur ''Terre de Durbuy'' en juin 2025)
Ph.
Laval